TV : « Le Maître d’escrime », ou la vie d’Endel Nelis
TV : « Le Maître d’escrime », ou la vie d’Endel Nelis
Par Alain Constant
Notre choix du soir. Bravant la répression stalinienne, un enseignant transmet à de jeunes enfants sa passion du fleuret jugée « contre-révolutionnaire » (sur Arte à 20 h 55).
Le maître d'escrime - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31
Que vient donc faire, au début des années 1950, ce jeune homme athlétique, au regard triste, dans un trou perdu du fin fond de la République socialiste soviétique d’Estonie ? Sur le quai brumeux de la petite gare d’Haapsalu, il est descendu du train en provenance de Leningrad, avec un gros sac sur l’épaule. Seul.
Sur une belle musique signée Gert Wilden, l’homme traverse la gare, le village puis la cour de l’école, lieu de son nouveau job, enveloppé dans une lumière teintée de bleu et de gris que seules les affiches rouges de la propagande stalinienne viennent troubler. Arrivé dans le bureau du directeur, il lui présente ses diplômes. « Pourquoi quitter une grande ville pour venir ici ? », interroge son supérieur. « Je ne m’y suis jamais senti à l’aise », rétorque le camarade Endel Nelis. Evidemment, la raison d’un tel changement de vie est beaucoup plus sérieuse et résume l’histoire dramatique de l’Estonie, occupée par les Allemands pendant la guerre, puis par les Soviétiques.
Né en 1925, Endel Nelis a été incorporé de force, comme tous les garçons de son âge, dans l’armée allemande. Parvenant à s’échapper et à se cacher dans les forêts, il rejoint Leningrad après la guerre où il change d’identité en prenant le nom de sa mère.
Remarquable escrimeur, il devient maître d’armes. Mais aux yeux des autorités, un tel personnage est forcément suspect, sans compter que l’escrime, comme le soulignera plus tard le directeur de l’école d’Haapsalu, « n’est pas un loisir très approprié à la jeunesse prolétaire ».
Märt Avandi (au centre) dans « Le Maître d’escrime », de Klaus Härö. / © KICK FILM GMBH
Pour l’instant, Nelis débute dans son métier de professeur de sport avec les enfants d’Haapsalu. Il ouvre un club d’escrime en dépit des difficultés matérielles et de l’hostilité de sa hiérarchie, qui craint les représailles des autorités.
Joliment filmé par Klaus Härö sur un scénario d’Anna Henämaa, ce film émouvant rappelle par moments l’atmosphère d’Est-Ouest (1999), de Régis Wargnier, avec Sandrine Bonnaire, Catherine Deneuve et Oleg Menchikov, et dont l’action débutait en 1946 dans les ténèbres de l’URSS stalinienne.
Ici, on suit les aventures du maître d’armes et de ses élèves tandis que la menace plane. On souhaite que l’histoire d’amour entre le nouvel arrivant (joué par Märt Avandi) et Kadri, la jeune prof (superbe Ursula Ratasepp) puisse aller loin. La lumière et la musique sont belles, les costumes signés Tina Kaukanen donnent une crédibilité supplémentaire à cette histoire qui foudroie les destinées : les pères sont absents, morts ou déportés.
Surprise sur les pistes
Lorsque le directeur de l’école demande à son adjoint de mener une enquête sur le passé de Nelis, le danger se fait de plus en plus menaçant. Mais, le bravant, l’enseignant va retourner à Leningrad pour un tournoi réunissant plusieurs équipes de grandes villes soviétiques comme Moscou, Kiev ou Tbilissi. Avec ses quatre escrimeurs sélectionnés, Nelis va permettre à Haapsalu de créer une énorme surprise sur les pistes.
Lorsque la victoire est prononcée, il quitte ses protégés, encadré par des hommes en uniforme. Le 5 mars 1953, Staline meurt, des millions de prisonniers sont libérés. La dernière scène retrouve le quai brumeux de la petite gare d’Haapsalu. Endel Nelis revient. Kadri l’attend, les enfants aussi. Il mourra en 1993, deux ans après l’indépendance de l’Estonie.
Le Maître d’escrime, de Klaus Härö. Avec Märt Avandi, , Ursula Ratasepp, Joonas Koff (Finlande, 2015, 90 min).