La colère gronde chez les rescapés de l’incendie de la tour Grenfell
La colère gronde chez les rescapés de l’incendie de la tour Grenfell
Par Eric Albert (Londres, correspondance)
Plus de deux mois après l’incendie qui a fait plus de 80 morts et disparus, la plupart des rescapés ne sont pas relogés et vivent à l’hôtel
Préparation d’une banderole de soutien aux sinistrés de la tour Grenfell, avant le carnaval de Notting Hill, à Londres, le 25 août. / PETER NICHOLLS / REUTERS
Quelques minutes à peine après le début de la réunion, les premiers cris de colère ont retenti. « C’est tout ? ! Vous avez relogé quelques personnes et vous appelez ça un succès. Chaque semaine, je viens à ces réunions, rien ne s’améliore et on continue à entendre n’importe quoi. » La dame blonde termine son discours, furieuse, sous les applaudissements de l’assemblée.
Les rescapés du terrible incendie de la tour Grenfell à Londres n’en peuvent plus. Dix semaines après le sinistre du 14 juin, qui a fait plus de quatre-vingts morts et disparus, leur situation stagne. La plupart d’entre eux vivent encore à l’hôtel, sans moyen de reconstruire leur vie. Seules vingt-quatre familles ont été relogées sur environ deux cents. La promesse initiale du gouvernement britannique de reloger les victimes en trois semaines semble avoir été oubliée de tous.
Dans ces conditions, la réunion publique hebdomadaire, organisée par les autorités mercredi 23 août, s’est mal passée, comme à chaque fois. Rapidement, le ton est monté. Beaucoup de rescapés ne font même plus le déplacement. Ils ont été remplacés par de nombreux activistes locaux, qui les aident au jour le jour mais font aussi monter la pression politique.
Hamid, qui vivait au seizième étage de la tour, se lève dans la petite salle de la mosquée où se déroule la réunion. Il interpelle Elizabeth Campbell, la maire de Kensington et Chelsea, l’arrondissement où se trouvait la tour : « Je suis sûr que vous êtes partie en vacances cet été. Pas nous. On est bloqués ici. On vit à l’hôtel, et la facture que vous payez pour cela est énorme. Vous gaspillez de l’argent. Ça suffit. Si vous avez besoin de volontaires pour vous aider, on est là. Je veux simplement revenir à ma vie normale, retourner travailler. » Il martèle ensuite son message en détachant chaque syllabe : « J’ai besoin d’être re-lo-gé dès que pos-si-ble. »
Pas de semblant de normalité
Le Marocain, Londonien de longue date, est excédé. Des réunions publiques, il en a vu des dizaines. La veille, il a rencontré Theresa May. La première ministre britannique est allée voir les rescapés, loin des caméras, tentant de rattraper sa visite calamiteuse juste après la tragédie, quand elle n’avait salué que les pompiers et les policiers, évitant les victimes. Hamid constate aussi l’élan d’émotion populaire qu’a soulevé la catastrophe. Dimanche 27 août et lundi 28, le fameux carnaval de Notting Hill, qui se déroule dans le quartier voisin, va marquer une minute de silence.
Mais Hamid n’a que faire de tous ces gestes d’empathie. Lui vit pour l’instant, avec ses deux enfants et sa vieille mère, dans une suite de trois pièces à l’hôtel. L’endroit est parfaitement confortable mais il est impossible d’y trouver un semblant de normalité. La mairie de Kensington et Chelsea, l’un des quartiers les plus riches de la planète, peine à s’expliquer sur sa lenteur. Elle a effectué 179 offres de relogement, mais beaucoup ne conviennent pas : trop loin, trop petit, mal adapté…
Barry Quirk, le directeur de la mairie de Kensington et Chelsea, reconnaît que son effort est bien insuffisant, faute d’appartements disponibles. Depuis le drame, il a fait acheter une centaine de propriétés mais veut « doubler ou tripler » ce nombre. Le propos sonne comme un aveu aux oreilles des victimes. Pour elles, le feu n’a fait que révéler le fait que le quartier HLM autour de Grenfell était délaissé par les autorités depuis des années.
Des cendres dans le vent
Un activiste local, qui gère deux associations, se rapproche, les yeux noirs de colère. « Regardez-vous, assis sur vos positions de privilèges, lance-t-il, interpellant les représentants de la mairie, de la police et des services sociaux. Ça fait cent ans que vous n’êtes pas capables de vous occuper de nous dans ce quartier, et ça ne change pas. Je n’ai jamais vu un seul d’entre vous verser une larme depuis ce drame. »
La tragédie est accentuée par l’incertitude sur le bilan humain, qui n’est toujours pas définitif : cinquante-trois personnes décédées ont été identifiées, mais il en reste au moins une trentaine dont le nom n’est pas confirmé. Les familles n’ont pas pu enterrer leurs proches et entreprendre leur deuil. Plusieurs rescapés, hantés par la tragédie, ont tenté de se suicider. Beaucoup pensent aussi que la police sous-estime le bilan, qui pourrait, d’après eux, dépasser une centaine de morts.
A quelques centaines de mètres de là, la carcasse calcinée de la tour se dresse comme un monument aux morts. Quand le vent souffle, les voisins reçoivent encore des cendres. Une grand-mère s’inquiète pour son petit-fils de 18 ans, qui vit en face et qui connaissait plusieurs victimes : « Il fait des cauchemars, quand est-ce que vous allez couvrir la tour ? » Désolée, la policière chargée du quartier répond qu’une bâche va bientôt être installée. Mais le bâtiment est fragile, et il faudra d’abord couler du béton avant de pouvoir installer un échafaudage pour accrocher le revêtement. Rien, dans cette tragédie, ne semble simple.