Un rapport de l’ONU attribue l’attaque au sarin de Khan Cheikhoun à l’armée syrienne
Un rapport de l’ONU attribue l’attaque au sarin de Khan Cheikhoun à l’armée syrienne
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
La Commission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Syrie rejette la thèse des autorités russes et syriennes, selon laquelle le carnage aurait été causé par le bombardement par des rebelles d’un hangar où du sarin était stocké.
Photo prise en avril 2017 des restes d’une chambre d’hôpital à Khan Cheikhoun (nord-ouest de la province d’Idlib). / OMAR HAJ KADOUR / AFP
Un rapport de l’ONU, rendu public mercredi 6 septembre, impute aux forces gouvernementales syriennes la responsabilité de l’attaque au sarin, commise le 4 avril contre Khan Cheikhoun, une localité du nord de la Syrie, aux mains de la rébellion anti-Assad. C’est la première fois que les Nations unies attribuent ce bombardement – fatal à au moins 83 personnes, dont 28 enfants et 23 femmes – à l’une des parties en conflit en Syrie. Cette attaque avait suscité une immense vague d’indignation et provoqué en représailles, trois jours plus tard, une frappe américaine contre un aéroport militaire syrien.
Le rapport, qui est le 14e élaboré par la commission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Syrie, estime qu’« il existe des motifs raisonnables de croire que les forces syriennes ont attaqué Khan Cheikhoun avec une bombe au sarin ». L’usage de ce produit hautement létal avait été préalablement démontré par une mission d’enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Cet organisme international, chargé de faire respecter la Convention de 1993 prohibant la fabrication, le stockage et l’utilisation d’armes chimiques, était parvenu à cette conclusion le 30 juin, sur la base d’autopsies et d’analyses d’échantillons, pratiquées dans un pays voisin de la Syrie, où des morts et des blessés avaient été transportés.
Attaque par un Soukhoï-22
Dans son rapport, la commission rejette la thèse défendue par les autorités russes et syriennes selon laquelle le carnage aurait été causé par un bombardement malencontreux sur un hangar d’un groupe armé rebelle où du sarin était stocké. « Si un dépôt de ce genre avait été détruit par une frappe aérienne, l’explosion aurait brûlé la plus grande partie de l’agent [chimique] à l’intérieur du bâtiment, ou bien l’aurait enterré sous les décombres, où il aurait été absorbé, plutôt que d’être relâché dans l’atmosphère dans une quantité aussi importante », affirme le rapport.
Les enquêteurs onusiens font aussi remarquer que le scénario suggéré par Damas et Moscou n’explique pas pourquoi les premières victimes sont apparues au petit matin, bien avant l’horaire de la frappe présumée sur le hangar (11 h 30). Les auteurs du rapport précisent qu’à la date de sa finalisation, le représentant de la Syrie au bureau de l’ONU à Genève n’avait pas répondu à leurs questions sur ces allégations.
Pour des raisons de sécurité et parce qu’ils n’ont jamais reçu le feu vert de Damas, les membres de la commission n’ont pas pu se rendre sur place. Mais ils ont interviewé, à distance, ou dans des pays limitrophes de la Syrie, 43 personnes présentes ce jour-là à Khan Cheikhoun (témoins oculaires, blessés et secouristes). Ils ont aussi étudié des images satellites, des photos de débris de bombes, des vidéos tournées sur les lieux du drame, ainsi que des relevés des postes d’alerte avancés de l’opposition. Ces bases de fortune, installées à proximité des aéroports militaires russe et syriens, permettent de prévenir du décollage d’un avion et de la direction approximative prise par celui-ci.
En croisant tous ces éléments, la commission est arrivée à la conclusion que l’attaque au sarin a été conduite à 6 h 45 du matin, par un Soukhoï-22 – un appareil opéré uniquement par l’aviation syrienne – qui a procédé à quatre frappes successives. Trois au moyen de bombes conventionnelles, « probablement de type OFAB-100-120 » et la dernière au moyen d’une bombe chimique.
Sanctions peu probables
Cette mise en accusation de Damas sera sans aucun doute saluée par l’opposition syrienne et ses soutiens arabes et occidentaux, qui, à l’image des Etats-Unis, n’ont souvent pas attendu le rapport de la commission pour incriminer le régime Assad. Mais il est peu probable qu’elle déclenche une saisine du Conseil de sécurité des Nations unies. Les membres de cette instance attendent en effet les conclusions d’une autre enquête, spécialement mandatée par eux, conduite par le Joint Investigative Mechanism (JIM).
Cet organe créé par une résolution du Conseil de sécurité en 2015 est composé de représentants de l’ONU et de l’OIAC. Il a spécifiquement pour rôle de désigner le responsable d’une attaque chimique, dès lors que l’usage d’une telle substance a été établi par une enquête de la seule OIAC. Dans le cas de Khan Cheikhoun, le rapport du JIM est attendu à l’automne, possiblement en octobre.
A supposer qu’il dispose de suffisamment d’éléments pour nommer un coupable avec certitude et que celui-ci se révèle être le régime syrien, là encore, la probabilité que Damas en fasse les frais est mince. Au mois de février, la Chine et la Russie avaient mis leur veto à un projet de résolution appelant à sanctionner les autorités syriennes, après qu’un rapport du JIM leur eut attribué la responsabilité de trois attaques chimique au chlore.