« Vous m’enverrez une photo pour mon collector », a plaisanté Philippe Martinez. Le secrétaire général de la CGT faisait allusion au spectacle offert, jeudi 14 septembre, dans la salle Clemenceau du Sénat. Pour célébrer ses 50 ans, l’Association des journalistes de l’information sociale (AJIS) avait réuni un plateau exceptionnel. Sagement alignés derrière leurs pupitres, les dirigeants des huit organisations syndicales et patronales représentatives – dans l’ordre alphabétique François Asselin (CPME), Laurent Berger (CFDT), Pierre Gattaz (Medef), Alain Griset (U2P), François Hommeril (CFE-CGC), Philippe Louis (CFTC), Philippe Martinez (CGT) et Pascal Pavageau (FO) – étaient invités à débattre sur le dialogue social, sous le regard attentif de Muriel Pénicaud, ministre du travail. Avec l’actualité brûlante des ordonnances sur le code du travail, la joute s’annonçait piquante.

Il n’en a rien été. La confrontation a été si conviviale, à défaut d’être consensuelle, qu’on aurait pu y voir une discussion entre copains, certains s’interpellant par leur prénom, et les piques d’humour fusant de toutes parts. Il ne manquait que le tutoiement. M. Gattaz, qui a affirmé que, dans les ordonnances, « il y a plein de choses qui ne vont pas », a fait sourire M. Martinez quand il s’est dit « tout à fait contre l’ultralibéralisme ». Et, quand le président du Medef a plaidé pour la recherche d’une « vision commune » des acteurs sociaux sur la France de 2030, le « patron » de la CGT s’est moqué de son « vieux fantasme ».

Plus mordant que ses partenaires, M. Berger a défendu la démocratie sociale et le compromis, et a vu dans les ordonnances une « occasion manquée » sur le partage des décisions dans l’entreprise. « C’est un lieu, a-t-il asséné, où il y a toujours un lien de subordination entre l’employeur et ses salariés. Il n’y a pas d’égalité. » Un point d’accord avec M. Martinez qui, très en verve, assez caustique et utilisant souvent l’arme de la galéjade, s’est abstenu d’égrener la longue liste de ses griefs contre la « loi travail XXL ». Il a même mis en avant la contribution de la CGT au dialogue social dans les entreprises et a regretté qu’« on ne discute jamais des relations entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants ». « Je croise des patrons de PME, et on est assez d’accord », a-t-il ajouté s’attirant un regard complice de M. Asselin, le président de la CPME.

Juste un pin’s

Favorable aux ordonnances, M. Louis a concédé que « le côté gagnant pour les salariés, on a encore du mal à l’expliquer ». Hostile à la réforme, M. Hommeril a répété que « ce n’est pas à l’entreprise de créer la norme sociale ». M. Pavageau s’en est pris au patronat : « 100 milliards d’aides publiques pour les entreprises, et pour l’emploi, il n’y a rien eu en dehors d’un pin’s » [allusion à celui que M. Gattaz arborait en promettant un million d’emplois]. « Il n’y a pas que les start-upeurs d’un côté et les fainéants de l’autre », a lancé le successeur désigné de Jean-Claude Mailly à la tête de FO.

En ouvrant la manifestation, Edouard Philippe s’en est tenu à un registre sobre. Le premier ministre a affiché sa détermination « non pas à adapter ou à rafistoler, mais à transformer, c’est-à-dire à changer de logique, à réparer ce qui doit l’être, à essayer ce qui a fonctionné ailleurs, à arrêter ce qui ne marche plus, tout en conservant bien sûr le noyau dur de notre modèle social ». Citant l’historien Marc Bloch – « Il est bon, il est sain que dans un pays libre, les philosophies sociales contraires se combattent librement » –, M. Philippe, fixant M. Martinez assis au deuxième rang, a assuré : « Je comprends donc la légitimité de la critique. » Le mot de la fin est revenu à Mme Pénicaud qui s’est déclarée « très preneuse d’une négociation interprofessionnelle » sur les nouvelles formes de travail, ainsi que sur la formation. Sur ce sujet, les régions devront être de la partie. Cela s’annonce moins convivial.