Harvey, Irma, José et maintenant Maria : « La situation est exceptionnelle »
Harvey, Irma, José et maintenant Maria : « La situation est exceptionnelle »
Propos recueillis par Audrey Garric
La Martinique et la Guadeloupe devraient être les premières touchées par l’ouragan Maria. S’il n’est pas aussi puissant qu’Irma, il s’agit encore d’un phénomène très dangereux, selon le météorologue Jean-Noël Degrace.
L’île de Saint-Martin, le 16 septembre, ravagée après le passage de l’ouragan Irma. / ANDREA DE SILVA / REUTERS
L’ouragan Maria commence à frapper les Caraïbes. Lundi 18 septembre, il est devenu un « ouragan majeur » de catégorie 3 sur l’échelle de Saffir-Simpson, qui en compte 5, selon le Centre national des ouragans américain. La Martinique et la Guadeloupe, qui devraient être les premières touchées, ont été placées en alerte violette et rouge cyclonique, tandis que Saint-Martin et Saint-Barthélemy, déjà ravagées par Irma il y a une dizaine de jours, sont en vigilance jaune. Entretien avec Jean-Noël Degrace, météorologue de Météo France installé en Martinique.
Comment s’est formé l’ouragan Maria ?
Comme les autres ouragans qui concernent les Antilles, il provient, à l’origine, de gros amas pluvieux orageux qui se forment sur l’Afrique occidentale, se déplacent d’est en ouest et se transforment en onde tropicale lorsqu’ils arrivent en mer. Mais à la différence des précédents comme Irma, il ne s’est pas renforcé au large du Cap-Vert, mais plus près de l’arc antillais. On parle dans son cas d’ouragan « barbadien », du nom de l’île de la Barbade.
Cette intensification des cyclones, perturbations à circulation tourbillonnaire, est favorisée lorsque certaines conditions sont réunies. Il s’agit d’abord d’une température élevée de l’océan superficiel [les 100 premiers mètres de profondeur], qui doit être d’au moins 27 °C, et d’humidité dans l’air. Ensuite, les vents de la troposphère [de la surface jusqu’à 10 000 mètres d’altitude] doivent être homogènes, ce qui permet à la cheminée centrale, verticale, ne pas être « cisaillée ». Ainsi le cyclone peut gérer ses immenses échanges énergétiques. Enfin, il faut des vents assez forts et bien orientés, en haute altitude, pour entretenir le cycle énergétique de l’ouragan.
Quelles sont sa vitesse et sa force ?
L’ouragan Maria affiche des vents moyens de 175 km/h et des rafales qui dépassent 200 km/h. Il a ralenti, passant de 25-30 km/h à 18-20 km/h depuis un jour. Or un cyclone qui avance lentement, c’est mauvais signe : cela signifie en général qu’il est en train de se renforcer et qu’il peut changer de trajectoire. Cela rend les prévisions encore plus compliquées.
Quelle est sa trajectoire ?
Estimation de la trajectoire de l’ouragan Maria. / Le Monde
Maria a adopté un cap ouest-nord-ouest. L’œil est en train de longer la Martinique à une centaine de kilomètres des côtes. En fonction du cap, soit il traversera l’île soit, et c’est le plus probable, il passera au nord de la Martinique et touchera la Dominique, voire la Guadeloupe à partir de lundi soir en heure locale. Tout ceci est au conditionnel, car sa trajectoire peut évoluer. Il devrait ensuite passer à au moins une centaine de kilomètres de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, ce qui devrait limiter les risques. En revanche, il pourrait se renforcer avant d’arriver sur Porto Rico, en présence d’une mer chaude et de conditions de vent très favorables.
A quoi doivent s’attendre la Martinique et la Guadeloupe ?
A la Martinique, la houle cyclonique a commencé à toucher le littoral en créant d’importants déferlements et des vagues de quatre à six mètres. La situation pourrait s’aggraver en fonction de l’évolution de l’ouragan. Il y a déjà des rafales qui dépassent les 100 km/h : c’est impressionnant mais cela ne donne pas encore lieu à des cumuls de pluie pouvant générer des inondations. Ces derniers seront plus importants dans l’après-midi de lundi et jusqu’à mardi matin, toujours en heure locale. Avec le passage de l’ouragan, le côté ouest de l’île risque également d’être touchée. La mer des Caraïbes, d’habitude très calme, devrait être très agitée, très forte. Or ce littoral est très peu protégé, il ne présente pas de récifs ou d’îlets qui pourraient diminuer l’impact du vent et des vagues.
Après la Dominique, la Guadeloupe risque de se trouver dans la partie au nord de l’œil du cyclone, qui est la plus active. On prévoit une forte houle avec des creux pouvant aller jusqu’à dix mètres, des vents violents de 150 km/h à 180 km/h, avec des rafales jusqu’à 200 km/h, ainsi que de fortes pluies pouvant aller jusqu’à 400 mm par endroits.
Si Maria n’est pas aussi puissant qu’Irma, nous sommes malgré tout en présence d’un phénomène très dangereux, qui cumule trois grands risques : le vent, la mer et la pluie. Mais comme tout le monde s’est mis à l’abri, cela devrait limiter les risques. Le dernier ouragan à avoir frappé la Martinique, Dean, de catégorie 3, avait occasionné beaucoup de dégâts sur les réseaux d’électricité et d’eau en août 2007, mais n’avait pas trop touché l’habitat ni causé de morts directes.
Le Washington Post indique que les ouragans Maria et José pourraient se retrouver au large de la côte est des Etats-Unis entre le 23 et le 26 septembre et fusionner au point de créer un « effet Fujiwara ». Qu’en est-il ?
Pour cela, il faut que José stagne au large des côtes de la Caroline du Nord, entre 3 000 et 4 000 km au nord de Maria, et que cette dernière remonte d’autant. Cela fait beaucoup d’incertitudes. L’effet Fujiwara signifie que deux cyclones se tournent autour et qu’ils peuvent, dans de très rares cas, se renforcer. Mais même quand cela arrive, le plus souvent dans le Pacifique, les conséquences ne sont pas forcément catastrophiques.
Le port de plaisance de Marigot, à Saint-Martin, le 16 septembre après le passage d’Irma. / HELENE VALENZUELA / AFP
Harvey, Irma, José et maintenant Maria : la saison est-elle particulièrement active en matière d’ouragans dans l’Atlantique ?
Le bassin atlantique nord tropical, qui regroupe l’Atlantique nord, la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique, a, pour l’instant, enregistré 13 tempêtes ou ouragans depuis le début de la saison en juin. Il y a déjà eu des saisons cycloniques autant voire plus actives encore. L’année 2005 avait marqué un record avec 26 phénomènes cycloniques dans toute la saison, jusqu’à fin novembre. En moyenne, on tourne autour d’une douzaine. Mais cette fois, la situation est exceptionnelle car il est extrêmement rare d’avoir quatre cyclones majeurs si rapprochés dans le temps dans la même région.
Peut-on faire un lien entre cette succession et le changement climatique ?
Le changement climatique est une réalité aux Antilles : les températures atmosphériques augmentent, plus que les moyennes au niveau global, et le niveau de la mer monte. Mais il est difficile de dire qu’il y a plus de cyclones ou qu’ils sont plus puissants, faute de base de données suffisamment homogène et aussi parce qu’on sait mieux les détecter que par le passé. Il y a malgré tout une tendance à l’augmentation des cyclones les plus intenses, de 5 à 10 %. Mais aucun événement particulier n’est lié au changement climatique dans la mesure où de nombreux cycles naturels interviennent, comme le phénomène El Niño.