La ville partagée : un territoire à explorer
La ville partagée : un territoire à explorer
Les consultants Nathalie Dupuis-Hepner de NDH Conseil et Nicolas Le Berre de Cityzens Factory plaident pour une implication plus forte des habitants dans les projets urbains.
Alors que nos villes voient se multiplier les défis, des collaborations inédites entre des acteurs d’horizons divers (entreprises, collectivités, associations, citoyens…) bousculent les modèles. Un avenir prometteur semble émerger, celui d’une « ville partagée » qui saura fédérer les énergies et les talents, au plus près du terrain, dans la volonté de construire ensemble les solutions nouvelles. Comment accompagner transformation de ces acteurs pour faire de la « ville » un espace laboratoire du « faire ensemble », au service de la transformation du territoire ?
Des exemples motivants
Cette philosophie, c’est celle adoptée par la mairie de San Francisco autour de l’économie circulaire et des déchets. A horizon 2020, cette ville sera l’une des toutes premières « zéro déchet », avec 100 % de ses déchets recyclés. Ce projet pionnier, initié par la mairie il y a une quinzaine d’années, est rapidement devenu une ambition partagée à l’échelle de toute la ville. Commencée de manière ciblée avec les restaurateurs sur le bio-déchet, cette expérimentation s’est en effet étendue progressivement à l’ensemble des parties prenantes du territoire (citoyens, industriels, universités, associations, etc.), chacun ayant reçu des missions précises et complémentaires, dans la réalisation d’un objectif plus global.
A Montréal, c’est à l’échelle des quartiers que l’on a abordé cette logique de transversalité. Les Tables de Quartier sont des instances locales de concertation intersectorielles et multiréseaux - impliquant organismes communautaires, institutions, milieu culturel, entreprises et citoyens - qui ont pour objectif de contribuer à l’amélioration des conditions et du cadre de vie des populations locales. Ensemble, ces partenaires réalisent des diagnostics de quartier et déterminent des priorités d’action pour l’habitat, la sécurité alimentaire, l’environnement, le transport, etc. Puis le quartier dans son ensemble passe à l’action, au travers d’initiatives collectives mises en œuvre sur le terrain.
En France aussi, une nouvelle forme de coopération est née de la volonté de lutter contre le chômage de longue durée. Initiée par ATD Quart-Monde, l’expérimentation des « Territoires zéro chômeurs de longue durée » fédère plusieurs partenaires locaux, et en particulier des entreprises de l’économie sociale et solidaire, pour offrir des opportunités à ceux qui cherchent un emploi.
Ces exemples montrent que la « Ville » se transforme et que des dynamiques convergent pour en faire un nouvel espace du « faire ensemble ».
La ville, un terreau fertile pour le collectif
Vivre la ville, c’est être en prise avec son quotidien, de manière tangible, et cela fait naître ou renforce une volonté d’engagement au niveau local. Ces dernières années, cette réalité a connu une forte accélération avec la montée en puissance d’une génération de citoyens au regard neuf, décidés à mettre leur créativité et leur esprit d’entreprendre au service de « leur » ville, appréhendée comme un « bien commun ». Leaders de collectifs citoyens, dirigeants d’associations ou entrepreneurs dits « sociaux » ont exprimé la passion et le désir d’apporter leurs propres réponses aux enjeux locaux. Grâce à eux, des logiques participatives et de nouvelles économies urbaines (sociales et solidaires, collaboratives, circulaires) ont été formalisées, dans toutes les dimensions du cadre de vie (gestion des déchets, habitat, mobilité…).
Dans le même temps, les collectivités voient leurs ressources baisser et leurs concitoyens réclamer une participation de plus en plus forte à la vie de la « cité ». Les entreprises, quant à elles, sont confrontées à la question d’un rôle social plus important sur les territoires. Pour développer leur ancrage et gommer une image « hors-sol », elles bâtissent de nouveaux projets avec leurs collaborateurs, leurs partenaires et même leurs consommateurs. Les bailleurs sociaux, enfin, comprennent qu’ils doivent évoluer dans leurs pratiques pour rester des « fabricants de proximité » et cela passe par une implication plus forte des habitants.
Le moment semble donc propice pour que leurs chemins respectifs convergent. Cela prend du sens politiquement, économiquement et socialement. Mais pour faire de ce contexte urbain favorable le théâtre de transformations en profondeur, il s’agit désormais de « connecter » de manière juste les habitants-bâtisseurs de la ville d’une part, avec les opérateurs plus traditionnels d’autre part : les collectivités, les entreprises ou encore les bailleurs sociaux. La ville s’inscrit dans une échelle humaine, favorable à cette approche pluri-acteurs, tout en préservant l’identité et les compétences de chacun.
Au-delà du discours et des intentions, il devient incontournable d’apprendre à se défaire de préjugés, à dialoguer et faire ensemble, autrement dit mettre en œuvre un nouveau savoir-être et de nouvelles méthodes de travail, individuelles et collectives. En dépassant les modes d’entraide existants (subventions, mécénats de compétences, dons, etc.) pour nouer des partenariats plus opérationnels, les acteurs des territoires bougent les lignes de leurs habitudes et se donnent les moyens de relever autrement les défis de proximité qui concernent chacun.
La ville partagée, un parcours de transformation
Toutes les démarches « terrain » déjà mises en œuvre présentent avant tout un point commun : la volonté d’essayer quelque chose qui ne s’est jamais fait, en intelligence collaborative. Ce décloisonnement permet de penser et de mettre en œuvre des actions originales, souvent plus pertinentes car dessinées dans une créativité démultipliée. Une telle organisation territoriale, articulée autour d’un objectif commun, offre également davantage de cohérence à l’action des différents acteurs d’un même territoire. Avec ce partage de responsabilités et de compétences, on donne corps à une aventure collective ambitieuse pour créer davantage d’impact au service d’un bien commun.
Dans ce cadre, c’est aussi la posture des parties prenantes qui est source d’enrichissement. Au profit de l’intérêt général et de l’action, chaque contributeur accepte de sortir de son propre « silo » pour mieux connaître les intervenants de son territoire, comprendre leurs spécificités et s’appuyer sur leurs forces pour atteindre un objectif qui dépasse les objectifs individuels. Grâce à cette ouverture et la confiance qui s’instaure, se révèlent aussi une envie d’apprendre de l’autre, dans une forme d’agilité, et un enthousiasme des participants plutôt inhabituels. C’est l’occasion de marginaliser les pessimistes et tous ceux qui répètent que « ce n’est pas possible ».
La ville aujourd’hui suscite ce réel espoir, par sa capacité à retisser du lien, à renouveler positivement l’action économique, sociale et politique, et à faire émerger une nouvelle dynamique de société dans la co-construction. C’est aussi le lieu où peuvent se produire des améliorations visibles dans un temps court, qui apportent une satisfaction et une énergie contagieuses. C’est sans aucun doute par la « cité », ancrée dans leur vie quotidienne, que les habitants peuvent reprendre la main. Faire et innover ensemble, c’est changer de regard sur l’autre et sortir du dogmatisme, dans le respect mutuel et l’humilité. Il ne s’agit pas de « la » solution miracle mais de l’opportunité qui est donnée de retrouver le goût de l’action collective sur le territoire, en fédérant des volontés porteuses de complémentarité créatrices.
Nathalie Dupuis-Hepner (NDH Conseil) et Nicolas Le Berre (New CITYzens - Cityzens Factory)