Marine Le Pen et Florian Philippot au Parlement européen, à Strasbourg, le 17 janvier 2017. / Christian Hartmann / REUTERS

Editorial du « Monde » Entre la présidente du Front national et son vice-président, le divorce est donc consommé. Après plusieurs semaines de sourd conflit, puis quelques jours d’escalade verbale de plus en plus tendue, chacun a pris ses « responsabilités ». Marine Le Pen sommait Florian Philippot de quitter la présidence de l’association Les Patriotes, qu’il avait créée dès le lendemain de l’élection présidentielle, en marge du FN.

Devant le refus de l’intéressé de céder à cette injonction et de rentrer dans le rang, elle lui a retiré, mercredi 20 septembre, ses délégations à la stratégie et à la communication, le privant ainsi de toutes ses responsabilités. Dès jeudi matin, Florian Philippot a annoncé son départ du FN.

Une crédibilité ruinée

Le FN en a vu d’autres et « n’en mourra pas », veut croire Mme Le Pen. Il reste que ce psychodrame révèle la crise profonde que traverse le FN depuis l’échec de sa candidate à l’élection présidentielle. C’est, en effet, toute la démarche engagée depuis qu’elle a succédé à son père, en 2011, qui est en train de s’effondrer.

Inspirateur de la « refondation » du parti, Florian Philippot paye aujourd’hui les pots cassés.

Elle s’était fixé trois objectifs. D’abord, « dédiaboliser » le Front national, le débarrasser de l’image détestable de parti d’extrême droite, xénophobe et antisémite, que son fondateur entretenait depuis des décennies. Ensuite, organiser et renouveler le mouvement pour en faire une solide machine de conquête du pouvoir, localement d’abord (comme en ont témoigné ses succès électoraux en 2014 et 2015), puis nationalement. Enfin, le doter d’un programme susceptible d’élargir sa base sociale et électorale. Au-delà de son socle historique identitaire et réactionnaire, faire du FN un vaste mouvement social et souverainiste : le parti du « peuple » contre les « élites », celui des « patriotes » contre les « mondialistes », celui de la sortie de l’Europe et de l’euro, source à ses yeux de tous nos maux.

L’élection présidentielle a mis en échec cette stratégie. Le FN reste, aux yeux d’une forte majorité de Français, un parti dangereux pour la démocratie. Sa présidente a démontré, notamment lors du débat face à Emmanuel Macron le 3 mai, qu’elle n’était pas à la hauteur de ses ambitions.

Réinventer toute sa stratégie

Son choix antieuropéen a ruiné, pour bon nombre d’électeurs, la crédibilité de son projet. Parce qu’il était, dans une large mesure, l’inspirateur de ces orientations et leur principal porte-voix aux côtés de Marine Le Pen, Florian Philippot paye aujourd’hui les pots cassés.

Voilà donc le Front national renvoyé à la case départ. Et, plutôt que de la « refondation » annoncée par sa présidente, menacé d’une sévère régression. Car l’ancien vice-président ne s’est pas privé de mettre le doigt là où ça fait mal.

Cette exclusion témoigne de l’incapacité congénitale du FN à organiser en son sein un débat démocratique.

D’une part, son exclusion témoigne effectivement d’une incapacité congénitale du FN à organiser en son sein un débat démocratique ouvert. D’autre part, il risque d’être renvoyé à son ADN originel : celui, selon l’expression cruelle de M. Philippot, de « syndicat anti-immigration », obsidional et étriqué.

Il serait cependant très prématuré et dangereux d’imaginer le Front national condamné à un irrémédiable déclin. En 1998, l’exclusion brutale du numéro deux de l’époque, Bruno Mégret, avait fait croire à une crise mortelle. Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen se qualifiait pour le second tour de la présidentielle.

Aujourd’hui, Marine Le Pen reste forte des quelque 10 millions de Français qui ont voté pour elle le 7 mai. Encore lui faut-il réinventer toute sa stratégie. Sans tête pensante, désormais, pour l’y aider.