Le positionnement de Thomas Guénolé fait débat dans les rangs universitaires comme dans les médias. / Samuel Kirszenbaum/Modds

Samedi 26 août, à Marseille. La conférence à l’intitulé provocateur « Faut-il dégager les médias ? », organisée par La France insoumise, fait carton plein. La journaliste Aude Lancelin et le blogueur Olivier Berruyer viennent de dénoncer, à travers le récit de leurs expériences personnelles, ce qu’ils considèrent comme une dérive « maccarthyste » des médias « mainstream » à l’égard des idées « alter système ». Sophia Chikirou, la conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon, présente maintenant le dernier intervenant : le « king de la punchline, le roi de la petite phrase », annonce-t-elle en désignant son voisin, dont le visage rond, le sourire jovial et le crâne dégarni sont connus de tous les téléspectateurs des chaînes d’information en continu. Thomas Guénolé, 35 ans, « politologue, éditorialiste et essayiste », prend la parole : « Je suis très heureux et très ému d’être ici parmi les miens, commence-t-il. Et comme souvent avec le coming out, tout le monde était déjà au courant. » Rires dans la salle.

« Il a quitté le domaine de la recherche pour adopter une grille de lecture de commentateur. » Pascal Perrineau du Cevipof

Quelques jours plus tard, à Paris, Thomas Guénolé explique n’avoir pas choisi cette expression au hasard : « Ma démarche est similaire à un coming out : quand vous faites un coming out, vous le reconnaissez vis-à-vis de vous-même, vous l’annoncez aux autres et à l’espace public. Ça change le regard porté sur vous. » Il ajoute : « Vous vous sentez mieux dans vos pompes. » Depuis sa sortie du placard, Guénolé s’affiche en cette rentrée comme « politologue et éditorialiste “insoumis” » chez Europe 1 (« Hondelatte raconte ») et LCI (« La Mediasphère »). Il planche aussi à un sixième « essai engagé » à paraître chez Plon, en mars 2018.

Cette mue fait bondir certains journalistes : ceux qui l’ont naguère consulté comme « expert » sans engagement politique – en 2015, il se disait « ni de droite ni de gauche mais anti FN » – et ceux dont il critique l’omniprésence médiatique… quand lui-même ne semble jamais quitter les studios télé. Pendant la dernière présidentielle, il a plusieurs fois dénoncé le « Mélenchon bashing », sans annoncer alors sa conversion.

Après son outing du 26 août, Patrick Cohen, patron de la matinale d’Europe 1, l’a ainsi qualifié de « pseudo-politologue ». Guénolé a rétorqué en affirmant tenir à sa disposition son doctorat de sciences politiques.

Pourtant, dans les rangs universitaires, son positionnement fait aussi débat. Sur le trombinoscope de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où il est chercheur associé depuis quelques mois, son portrait détonne au milieu de ceux, sobres, de ses collègues : le cliché est pris sur un plateau télé. Certains chercheurs observent, en « off », qu’il ne publie jamais dans les revues scientifiques. « Il a quitté le domaine de la recherche pour adopter une grille de lecture de commentateur », constate Pascal Perrineau, qui a dirigé sa thèse de sciences politiques en 2013 au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Il garde le souvenir d’un doctorant aux avis déjà tranchés et iconoclastes : « C’était un tempérament ! »

La stratégie du télévangélisme

Thomas Guénolé ne date pas son engagement – « Je me suis constaté “insoumis” » – mais admet une vieille amitié avec certains porte-parole. Alexis Corbière, lui aussi habitué des plateaux, se souvient y avoir croisé Guénolé pour la première fois en 2012. Ils se sont revus plusieurs fois, sont devenus amis. « Son intelligence nous est utile, souligne le député de Seine-Saint-Denis. Il a le mérite d’être carré, de forger des arguments pertinents et efficaces. Il maîtrise bien la rhétorique et c’est un esprit libre. » Corbière comme Raquel Garrido, sa compagne désormais chroniqueuse sur C8, revendiquent la stratégie du télévangélisme de La France insoumise, à laquelle participe désormais aussi Guénolé : « Partout où on nous donne la parole, il faut aller. » Le « politologue “insoumis” » plaide aussi, désormais, pour la création d’un grand média audiovisuel doté d’une ligne éditoriale « alter système ».

Issu d’une famille catholique de droite, Guénolé dit avoir cheminé « par paliers ». En 2011, plongé dans la rédaction de sa thèse sur le centrisme, il est pris d’un coup de cœur pour Jean-Louis Borloo, lui fournit des notes pendant six mois. « Il n’était pas le commentateur d’aujourd’hui, se souvient l’ancien ministre. C’était un chercheur, méthodique, imaginatif, légèrement provocateur. Une sorte de professeur Nimbus ou de Dominique Wolton quand il était jeune. »

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Sa carrière médiatique démarre à la même époque. Il publie d’abord des tribunes dans Le Monde et Libération avant de devenir en 2013 contributeur régulier et prolixe au Plus, plateforme participative du Nouvel Obs. Sa signature y côtoie alors celle du blogueur Bruno Roger-Petit, aujourd’hui porte-parole de l’Élysée. « On me demandait d’éditorialiser mes textes. Je n’étais plus dans l’analyse. »

Faux pas médiatique

C’est alors que la télé le remarque. Il devient ce que les médias appellent un « bon client ». Toujours disponible, il sait délivrer en quelques minutes un message simple et percutant – ce que nombre de chercheurs rechignent à faire. Thomas Guénolé l’assume, il est venu remplir un vide : « Un certain nombre de médias étaient en attente de ce type d’engagement dans le débat public et, de mon côté, j’étais volontaire pour le faire. » Son sens de la formule et ses avis de plus en plus tranchés séduisent Jean-Jacques Bourdin qui, en mars 2015, lui confie une chronique quotidienne sur RMC : « Guénolé, c’est du concret ! » À l’époque, il est également régulièrement invité par Frédéric Taddei, sur le plateau de « Ce soir (ou jamais !) », émission dont il loue l’« état d’esprit » et le goût du pluralisme. En novembre 2015, son aventure quotidienne chez Bourdin prend fin. Il est congédié à la suite d’un billet où il évoquait des dysfonctionnements présumés de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) lors des attentats du 13 novembre. Pour la station, il n’a pas vérifié ses informations. Guénolé, lui, dénonce une autocensure de la rédaction.

Politologue et chroniqueur, Thomas Guénolé a, un temps, également porté la casquette de spin doctor. En 2014, il a créé avec son épouse Vox Politica, un cabinet de conseil en stratégie et en communication politique. Les quelques lignes de présentation de l’entreprise le décrivaient comme « un expert en stratégie et en production de messages percutants ». Parmi ses clients, il comptait des politiques de tous bords, « sauf du FN ». Il les conseillait en parallèle de son activité de politologue. Fournisseur d’idées et commentateur. Il vient de cesser tardivement cette activité, « pour des raisons déontologiques ».