Trois semaines sans voiture : « Pour aller en banlieue, les alternatives ne sont pas suffisantes »
Trois semaines sans voiture : « Pour aller en banlieue, les alternatives ne sont pas suffisantes »
Par Cécile Bouanchaud
Répondant à un défi de la ville de Paris, Marie-Chantal s’est passée de sa voiture, qu’elle utilise quotidiennement pour aller au travail, à l’instar de cinquante autres volontaires.
La station de métro Pablo Picasso, à Bobigny, le 3 décembre 2012. / JACQUES DEMARTHON / AFP
Pas de course dans les couloirs, positionnement précis devant la rame, regards à l’affût des passagers quittant leur siège, lecture chronométrée sur les places assises tant convoitées. A suivre Marie-Chantal Sanon lors de son trajet matinal au travail, on se dit que la mère de famille a tout des habituées du métro parisien. Pourtant, cette assistante sociale, qui effectue quotidiennement un trajet allant du 12e arrondissement de Paris à Bobigny (93), est une automobiliste convaincue.
Mais « parce que l’écologie devient une question fondamentale », et « qu’il n’y a pas de petits moyens de participer à la transition énergétique », elle a accepté de répondre à un défi de la ville de Paris, en se portant volontaire pour se passer de son véhicule trois semaines durant. La contrepartie ? La municipalité a mis à sa disposition, gratuitement, un panel d’alternatives à la voiture.
Comme elle, cinquante volontaires utilisant quotidiennement leur véhicule motorisé (voiture ou deux roues), ont joué le jeu d’utiliser Vélib’, vélo électrique, Autolib’, transports en commun et autres options moins connues. Tous les participants, « représentatifs » des automobilistes franciliens, ont été sélectionnés à la suite d’un entretien avec des membres de l’association Wemoov, qui accompagne les volontaires vers « des moyens de transport durables et autonomes ».
Panel de Franciliens
Le panel comprend ainsi autant d’hommes que de femmes, 68 % de Parisiens et 32 % d’habitants de banlieue, âgés en grande majorité de 30 à 50 ans. « Les différentes professions sont représentées : ingénieur, consultant, formateur, comptable, fonctionnaire, juriste, facteur, aide-soignant, chercheur, avocat, commercial, chômeur », liste Mathilde Kerjean, chargée de la communication de l’association, qui précise que la structure familiale entre également en compte : « célibataire sans enfant, couple sans enfant, famille monoparentale ou en couple. »
« L’idée des entretiens était également de voir les besoins et les contraintes de déplacement pour proposer une alternative satisfaisante », précise-t-elle, donnant l’exemple d’une famille avec des enfants en bas âge à qui il a été proposé un triporteur pour les transporter sur un vélo-cargot.
« L’objectif, ambitieux, serait que ce défi ait un impact réel sur les participants », commente la ville de Paris, qui espère « une sorte de révélation : “Je ne suis pas obligé de prendre ma voiture, et pour autant, je ne perds pas de temps et je ne pollue pas.” » Dimanche 1er octobre, alors que la municipalité lance sa journée sans voiture dans toute la capitale, l’heure est au bilan.
Pendant trois semaines, la principale alternative adoptée par Marie-Chantal a été les transports en commun, qui doublent son temps de trajet, passant de vingt-cinq minutes à une heure porte à porte. « Ce qui me pousse à avancer mon réveil d’autant, soit un levé à 6 h 45 au lieu de 7 h 30 », fait savoir la mère de famille de 47 ans, qui évoque « le sentiment de grande fatigue » qui l’a assaillie les premiers jours du défi, « où je m’endormais dans le canapé en arrivant exténuée chez moi ». Avant qu’elle s’habitue.
Le temps de lire, mais des désagréments
A quoi ? Au plaisir de lire, certes. Marie-Chantal évoque Correspondance de Paul Cézanne, terminé en quelques jours ou encore la lecture de l’hebdomadaire Courrier international, auquel elle est abonnée et qu’elle ne prenait pas le temps d’ouvrir. Au plaisir de « prendre l’air » aussi, en marchant cinq minutes ou en prenant un Vélib’ jusqu’au métro.
Mais quand elle parle de ce mode de transport en commun, c’est surtout pour évoquer pêle-mêle une myriade de désagréments : le confinement, l’attente, le manque d’aération, les retards, les incivilités « de ceux qui se croient dans leur salon » et celles « des gens pressés », les odeurs – « il est neuf heures et ça sent le shit ».
« Des conditions qui ne sont pas vraiment favorables pour arriver en forme et de bonne humeur au travail », résume Marie-Chantal, évoquant, par effet de contraste, « le confort d’être seule dans sa voiture en écoutant France Inter » :
« Dans ma voiture, rien ne me manque, j’ai tout ce qu’il me faut. »
Les autres alternatives ? S’agissant du Vélib’, Marie Chantal rétorque que les bornes ne vont pas jusqu’à son travail. Le vélo électrique lui a été proposé, mais elle a préféré décliner, « parce qu’il y a toujours l’appréhension des voitures » et « parce que je ne veux pas arriver en transpiration au travail après onze kilomètres de trajet ».
Aux utilisateurs hésitant à utiliser le vélo, l’association Wemoov tente de désamorcer sa présumée « dangerosité », notamment en rappelant que les cyclistes parisiens sont moins exposés avec 640 victimes d’accidents en 2015 contre 3 306 pour les deux-roues motorisés alors qu’ils représentent un tiers des déplacements de ces deux types de transports, selon l’Observatoire de la direction de la voirie et des déplacements de la mairie de Paris. L’association dispense également des formations « pour se mettre en selle et s’approprier la route en deux roues non motorisée ».
Quand à l’Autolib’, suggéré à Marie-Chantal pour faire ses courses, le service n’est valable qu’une heure, « c’est bien trop court pour faire tous les achats dans une grande surface en banlieue pour une famille nombreuse ». Le service de livraison de course à domicile Cyclopolitain, lui, ne desservait pas son arrondissement.
Difficultés « dès que l’on franchit le périphérique »
Si ces trois semaines lui ont prouvé qu’elle pouvait « se passer de la voiture », Marie-Chantal, conclut toutefois « que son véhicule est une nécessité ». Elle estime que les moyens alternatifs mis en place par la mairie ont cet écueil « de ne plus être satisfaisant dès lors que l’on franchit le périphérique », estimant que « si on se déplace dans Paris, tout se passe très bien ».
La mère de famille rappelle également que « ces alternatives ont un prix : 75 euros le pass Navigo [carte de transports francilienne] par exemple ». Un budget qui vient s’ajouter à celui de l’assurance ou des places de parking pour la voiture, dont elle pourrait aujourd’hui « réduire son utilisation, mais pas s’en passer complètement. » Elle suggère ainsi de proposer plus de places de parking « moins chères et plus nombreuses ».
Depuis plusieurs années, la ville de Paris a amorcé « une politique globale sur la baisse de la voiture », résume la municipalité, évoquant le « plan vélo 2015-2020 », qui prévoit de basculer une partie des déplacements vers le vélo (de 5 % à 15 % en cinq ans). Lundi, pour se rendre au travail, Marie-Chantal ne sait pas encore « si elle va poursuivre l’expérience », mais elle prévoit de « prendre le métro davantage ». L’an passé, la ville de Paris avait réalisé la même expérience, durant une semaine, sur un panel plus restreint de vingt volontaires. 62 % d’entre eux avaient modifié leur comportement, utilisant moins leur véhicule, mais personne n’avait complètement arrêté.