Election présidentielle au Kenya : les banques retiennent leur souffle
Election présidentielle au Kenya : les banques retiennent leur souffle
Par Marion Douet (Nairobi, correspondance)
Les incertitudes liées à l’élection fragilisent un peu plus les établissements du pays, déjà affectés par la limitation des taux d’intérêt depuis août 2016.
L’année 2017 a de quoi déprimer les banques kényanes. « Nous ne pouvons plus continuer sur cette route », s’est alarmé, vendredi 20 octobre, le directeur général de l’Association kényane des banquiers (KBA), Habil Olaka, dont le secteur est secoué à la fois par le contexte politique et par la conjoncture économique.
De fait, les incertitudes liées à la période électorale, qui s’éternise depuis l’annulation par la Cour suprême du scrutin présidentiel du 8 août mais qui pourrait trouver son dénouement avec la nouvelle élection prévue jeudi 26 octobre, contribuent de manière croissante au ralentissement d’une économie déjà fortement touchée par la sécheresse.
Ainsi, le taux de croissance du Kenya a été abaissé à 5 % pour 2017 (contre 5,8 % en 2016) selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI), publiées mi-octobre, soit son taux le plus bas depuis 2012. De son côté, l’agence Moody’s a placé le pays sous surveillance négative, ouvrant la voie à une possible dégradation de sa note souveraine.
« Ce ralentissement de l’activité économique est un premier effet du contexte électoral pour les banques, car il y a moins d’investissement », souligne un spécialiste des questions financières qui ne souhaite pas être nommé, ajoutant que les investisseurs, des clients courus car peu risqués, sont moins nombreux à réclamer des financements.
Victime collatérale
La situation n’est pas meilleure du côté des ménages et des petites entreprises. En août 2016, contre l’avis de la Banque centrale, le président Uhuru Kenyatta avait fait adopter une loi limitant les taux d’intérêt afin de lutter contre le coût très élevé du crédit (18 % en moyenne, mais dépassant régulièrement les 25 %, contre 14 % actuellement). Un pari à quitte ou double, un an avant les élections générales, qui a massivement enrayé l’accès des Kényans au crédit, les banques accordant plus difficilement des prêts.
« Nos vendeurs avaient déjà historiquement beaucoup de mal à emprunter. Après la loi, c’est devenu pire », raconte Juan Seco, responsable des services financiers de Jumia, qui a mis en place des solutions pour aider ses partenaires à se financer. Une nécessité pour cette plateforme de vente en ligne, victime collatérale de ce déficit d’accès au crédit : sans trésorerie, ses vendeurs repoussent le moment de se réapprovisionner, entraînant pour Jumia des ruptures de stock dans la deuxième moitié du mois.
Au total, seul un prêt sur trois est aujourd’hui approuvé au Kenya, les banques préférant aux faibles marges réalisées sur les ménages et les petites entreprises les revenus sécurisés garantis par les obligations souveraines, souligne la KBA. Comme elle, la Banque centrale milite pour un retrait de cette loi, promettant en échange une meilleure régulation du système. Mais dans le contexte politique extrêmement incertain, une telle révision de la loi par le Parlement a peu de chance d’intervenir rapidement.
Trop-plein de banques
À moyen terme, l’impact de ces turbulences pourrait pourtant être positif, estiment plusieurs sources que nous avons interrogées. Car si le Kenya est une place financière forte, le pays souffre aussi d’un trop-plein de banques. « Le Nigeria compte 25 banques commerciales pour près de 180 millions d’habitants, tandis que le Kenya en dénombre 44 pour environ 45 millions d’habitants : c’est beaucoup trop ! », relève George Waithaka, fondateur de la société de conseil financier GH Capital. Pour cet analyste kényan, une consolidation du secteur serait ainsi une bonne nouvelle, « car elle réduirait l’instabilité et créerait des institutions capables de financer les grands projets du pays ».
Cette reconfiguration, poussant les établissements les plus petits et les moins bien gérés à fermer leurs portes ou à se faire racheter, semble déjà amorcée, comme le montre l’exemple de Chase Bank, mise sous tutelle de l’Etat en 2016 et dont State Bank of Mauritius étudie un rachat partiel. Les déboires des uns sont ainsi autant d’opportunités pour d’autres : pour les principales banques du pays, telles que Kenya Commercial Bank (KCB), qui tirent actuellement leur épingle du jeu, mais aussi pour les groupes étrangers attirés par cette région dynamique, à l’image du français Société générale, qui vient d’ouvrir un bureau de représentation au Kenya.