Un an d’enquête, 96 médias : qu’est-ce que les « Paradise Papers » ?
Un an d’enquête, 96 médias : qu’est-ce que les « Paradise Papers » ?
Par Jérémie Baruch, Maxime Vaudano, Jean-Baptiste Chastand, Anne Michel
L’enquête, coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), repose sur plus de 13 millions de documents issus de trois sources.
Que trouve-t-on dans les "Paradise Papers" ?
Durée : 04:15
Les « Paradise Papers » désignent la nouvelle enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, issus de 67 pays, dont Le Monde, le Guardian et le New York Times.
D’où vient cette enquête ?
Publiées à partir du 5 novembre, à l’issue d’un an d’enquête collaborative menée par près de 400 journalistes, ces révélations s’appuient sur une fuite (« leak » en anglais) de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme.
Quelles sont les données ?
Les « Paradise Papers » sont composés de trois ensembles de données, qui représentent au total près de 13,5 millions de documents :
- 6,8 millions de documents internes du cabinet d’avocats Appleby : ils lèvent le voile sur les pratiques et les clients de l’un des leaders mondiaux de la finance offshore, établi aux Bermudes mais présent dans une dizaine de paradis fiscaux ;
- 566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, établi à Singapour ;
- 6,2 millions de documents issus des registres des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux (Antigua-et-Barbuda, Aruba, Bahamas, Barbades, Bermudes, Dominique, Grenade, îles Caïman, îles Cook, îles Marshall, Labuan, Liban, Malte, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Trinité-et-Tobago, Vanuatu) : ces pays étant caractérisés par une grande opacité, il était jusqu’alors difficile, voire impossible, de connaître l’identité des directeurs et actionnaires de leurs sociétés.
Très hétérogènes, ces différentes sources nous ont conduits à des informations de natures variées. Ainsi peut-on trouver dans les « Paradise Papers » un morceau du montage fiscal d’une multinationale chez Appleby, l’identité des personnes se dissimulant derrière un trust chez Asiaciti et le nom d’un Français parmi les actionnaires d’une société maltaise. Comme lors des précédentes opérations de l’ICIJ (« Offshore Leaks », « LuxLeaks », « SwissLeaks», « Panama Papers »), ces documents ne sont souvent que le point de départ d’une enquête qui se poursuit à l’aide d’autres sources et de contacts, permettant de mieux comprendre les montages et de vérifier les informations issues du « leak ».
Plus que jamais, la complexité de structures mise au point par les meilleurs avocats et fiscalistes de la planète offshore nous a poussés à faire appel à des experts pour les décortiquer et les analyser, afin de pouvoir les comprendre et les expliquer.
L’intégralité des documents sera-t-elle publiée ?
Conformément à la règle de conduite de l’ICIJ lors des précédentes enquêtes, le contenu intégral des « Paradise Papers » ne sera ni publié ni mis à disposition des autorités. Les médias partenaires de l’enquête ne sont pas des auxiliaires de justice. Ils estiment qu’un travail journalistique sérieux et de longue haleine est nécessaire pour interpréter ces documents et en extraire les informations d’intérêt public.
En revanche, l’ICIJ mettra en ligne, dans le courant du mois de novembre, un certain nombre d’informations sur l’ensemble des sociétés offshore du « leak », qui correspondent aux données basiques auxquelles le public peut avoir accès dans une juridiction non secrète (date de création, directeurs, actionnaires, etc.) Ces informations, issues des 19 registres des sociétés des paradis fiscaux et du fichier client d’Appleby, viendront s’ajouter à la base de données Offshore Leaks, qui contient déjà des informations similaires issues des enquêtes « Offshore Leaks », « Panama Papers » et « Bahamas Leaks ».
L’ICIJ, une gigantesque rédaction virtuelle
Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) a été fondé en 1997 et comprend aujourd’hui plus de 200 correspondants-journalistes dans 70 pays. « Nous ne sommes que des faciliteurs d’enquête », explique Gerard Ryle, le directeur de l’ICIJ. Lors de chaque opération (« OffshoreLeaks », « SwissLeaks », « LuxLeaks », « Panama papers » ou « Paradise Papers »), chaque rédaction détache le nombre d’enquêteurs supplémentaires qui s’impose, dans une confidentialité totale, et choisit les sujets qu’elle veut traiter.
« L’ICIJ s’est créé parce qu’il y avait un besoin, pour les journalistes, de faire de longues enquêtes, ce qui n’est pas possible tous les jours », dit Will Fitzgibbon, l’un des permanents. Cette gigantesque rédaction virtuelle est coordonnée depuis Washington, où l’équipe de l’ICIJ met – gratuitement – à disposition des médias partenaires, dans des messageries cryptées, des données extraits d’une fuite (« leak » en anglais) qui présentent un intérêt public. Le consortium est financé à la fois par des mécènes, dont la liste est publique, et des dons privés.