Pologne : « Les conservateurs au pouvoir se comportent comme les communistes des années 1980 »
Pologne : « Les conservateurs au pouvoir se comportent comme les communistes des années 1980 »
Propos recueillis par Alain Salles
Attaqué devant un tribunal militaire, le journaliste Tomasz Piatek dénonce la volonté de contrôle des médias par le gouvernement polonais.
Tomasz Piatek présente son livre sur le ministre de la défense polonais, Antoni Macierewicz, le 29 juin. / Mariusz Kubik/Wikimedia/CC BY SA 4.0
Le journaliste polonais Tomasz Piatek vient de recevoir le prix TV5-Reporters sans frontière pour la liberté de la presse, signe de leur inquiétude pour les médias polonais depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS). Journaliste au quotidien Gazeta Wyborcza, il a consacré un livre aux liens de l’entourage du ministre de la défense, Antoni Macierewicz, avec la Russie, ce qui lui vaut d’être poursuivi devant un procureur militaire. De passage à Paris, il a répondu lundi 13 novembre aux questions du Monde.
Pensiez-vous que, vinq ans après la fin du régime communiste, un journaliste polonais pourrait recevoir le prix de la liberté de la ingt-cpresse de RSF ?
Cela nous apprend qu’on doit toujours combattre pour notre liberté. On s’est endormis en Pologne, pendant que le niveau de vie augmentait. Sans prêter attention à la moitié de Polonais qui se sentaient exclus de cette croissance. Ce sentiment d’injustice est l’une des raisons de l’arrivée au pouvoir du parti Droit et justice .
Quelle est la différence entre le gouvernement PiS d’aujourd’hui et celui de 2004, avec les deux frères Kaczynski à la tête du pays ?
En 2004, ils n’avaient pas pris le contrôle du Tribunal constitutionnel, ni des médias publics, qui parlent toujours de la gloire du parti PiS, comme à l’époque soviétique. La diplomatie apparaît de plus en plus amicale à l’égard de la Russie de Poutine. Le PiS est vu comme un parti anticommuniste et anti-russe, mais il se comporte comme le parti communiste des années 1980 dans les médias et la justice et il est aujourd’hui surtout violemment anti-allemand, anti-ukrainien et anti-européen, plus qu’anti-russe.
C’est pour ces raisons que j’ai consacré un livre aux liens russes du ministre de la défense, Antoni Macierewicz, qui passe pourtant pour le plus anti-russe des ministres polonais. Il a eu des collaborateurs qui ont des connexions avec des oligarques et la mafia russe. J’ai écrit sur ces liens dans des articles de Gazeta Wyborcza à partir de 2016 et j’en ai fait un livre cette année.
Après la publication des articles, les médias proches du pouvoir m’ont attaqué, en m’accusant d’être paranoïaque, alcoolique et drogué. J’ai mis toutes les références dans mon livre. On peut vérifier, c’est pour cela que le gouvernement n’a pas voulu m’intenter un procès devant une cour civile ou pénale pour diffamation. Il a saisi un procureur militaire alors que je suis un civil.
De quoi vous accuse-t-on?
On m’accuse de violer un article de la loi antiterroriste, qui prévoit que celui qui tente d’influencer un fonctionnaire par la force ou la menace est passible de trois ans de prison. D’autres personnalités et sociétés liées à la mafia russe me poursuivent en justice.
Le ministère a déposé plainte en juin après la sortie du livre. Début juillet, le procureur a annoncé qu’il examinait sérieusement cette plainte. Il a été nommé par M. Macierewicz, qui l’a déjà fait travailler et qui a fait embaucher sa fille. Le ministre a été entendu comme témoin en août. Mais je n’ai reçu aucun mandat, aucune demande du procureur.
Le principal objectif du gouvernement est d’intimider les journalistes, sur le mode: « n’enquêtez pas sur les liens russes, sinon vous serez dénoncé comme terroriste et renvoyé devant un procureur militaire ».
Est-ce efficace ?
Certains médias, tout en me défendant, ont des scrupules à parler du contenu du livre. Mais de nombreux journalistes me soutiennent, et surtout font eux-mêmes des enquêtes sur les accointances russes du ministre de la défense. Il n’y a pas de mois sans de nouvelles révélations.
Les critiques européennes, tout comme votre prix, ne semblent pas atteindre le PiS, qui reste populaire. Pourquoi ?
En détruisant les médias publics, qui s’appellent désormais « nationaux » et non plus publics, les responsables du PiS ont créé leur propre Corée du Nord virtuelle. Les gens de droite proches du PiS n’écoutent et ne lisent que leurs médias et leurs sites Internet, qui chantent les louanges du gouvernement. Ils ne sont pas au courant de mon prix et ne lisent que les campagnes de haine contre moi.