Ajit Pai, le président du régulateur américain des télécoms, la FCC. Nommé par Donald Trump, il souhaite supprimer les règles imposant aux fournisseurs d’accès de respecter la neutralité du Net. / Aaron Bernstein / REUTERS

Vu de l’extérieur, on pourrait croire que le débat sur la neutralité du Net, ce principe qui veut que tous les contenus circulent de manière indiscriminée sur le réseau et que l’administration Trump veut abolir, a passionné les Américains. Au cours de la consultation ouverte durant plusieurs mois sur le site du régulateur américain, la FCC, ce sont pas moins de 22 millions de commentaires qui ont été reçus. Mais plus que le signe d’un débat animé, ce sont surtout de multiples suspicions de fraude qu’alimentent ces chiffres.

En 2014, lors d’une précédente consultation sur le même sujet, avant que les Etats-Unis ne mettent en place des règles contraignantes imposant aux fournisseurs d’accès de respecter la neutralité du Net, le site de la FCC avait accueilli 3,7 millions de contributions. Un chiffre déjà considérable, mais très éloigné des 22 millions de messages publiés cette année. Et ce alors que le débat public avait été particulièrement intense il y a trois ans.

Pro et anti-neutralité du Net s’accusent mutuellement depuis plusieurs semaines d’avoir eu recours à diverses techniques de triche pour noyer le site de la FCC sous des argumentaires tout prêts. Les doutes sur l’existence de fraudes sont minces : parmi les textes reçus, on trouve ainsi 800 000 fois le même message anti-neutralité, copié-collé au mot près. Au mois de mai, l’organisation Fight for the Future, qui défend la neutralité du Net, avait montré qu’une grande partie de ces commentaires avaient été publiés en usurpant l’adresse email de personnes qui n’avaient jamais écrit de commentaire sur le site de la FCC.

Les adversaires de la neutralité du Net affirment de leur côté que des militants ont utilisé divers systèmes automatisés pour déposer des commentaires en leur faveur. Ils reprochent également au présentateur de HBO, John Olliver, fervent défenseur de la neutralité du Net, d’avoir bloqué le fonctionnement du site de la FCC en incitant ses auditeurs à laisser un commentaire, par le biais d’un site satirique dont il avait fait la promotion à l’antenne. La FCC affirmait à l’époque, sans en apporter la preuve, que le site avait fait l’objet d’une attaque informatique.

La FCC refuse de collaborer à l’enquête

Mais le sort de ces commentaires publics est allé bien au-delà de l’assez classique chassé-croisé entre deux groupes de militants. La justice américaine a ouvert une enquête, au vu du volume de commentaires, mais le dossier n’a pas avancé, principalement en raison de la mauvaise foi de la FCC, affirme le procureur de New York en charge de l’affaire. « Le processus suivi par la FCC pour étudier un changement majeur des règles sur la neutralité du Net a été corrompu par l’utilisation massive d’identitées usurpées, et la FCC a refusé d’aider le bureau du procureur dans son enquête », a affirmé Eric Schneiderman, le procureur, dans une lettre ouverte. La FCC n’a pas non plus supprimé les commentaires identifiés comme frauduleux sur son site.

Ironiquement, aucun commentaire n’est cité au fil des deux cent pages du rapport final de la FCC. Entièrement consultatif, ce processus n’engage en aucune manière la FCC, qui n’a pas l’obligation de tenir compte des avis qui lui sont soumis, qu’une majorité claire se dégage ou non.

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