On le surnommait « l’animal politique ». Salif Diallo, président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso jusqu’à son décès, en août, avait toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Et face à la montée en puissance du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de l’ancien président Blaise Compaoré poussé à la démission par l’insurrection populaire d’octobre 2014, le « faiseur de rois » avait évidemment un plan. Alors que le CDP se sentait pousser des ailes devant les critiques de plus en plus acerbes contre le pouvoir en place, accusé de « faire du Blaise en moins bien », Salif Diallo comptait bien les couper avant l’élection présidentielle de 2020.

« Salif était en train de créer un grand front de gauche réunissant les déçus du MPP [Mouvement du peuple pour le progrès, au pouvoir], de l’UPC [Union pour le progrès et le changement, opposition], du CDP et une grande partie des partis sankaristes, explique Achille Tapsoba, le président par intérim du CDP. Le fractionnement est une vieille stratégie qui marche à tous les coups. C’est même ça qui a mené à la création du CDP puis du MPP. »

Les « taupes de Salif »

Il aura fallu attendre le décès de son concepteur pour que le plan fuite. « Double jeu politique : les masques des “taupes de Salif” vont-ils enfin tomber ? », titrait, le 10 septembre, le journal burkinabé Le Courrier confidentiel. L’article révélait que des députés de l’UPC comptaient quitter le navire de l’opposition pour rejoindre le front de gauche imaginé par Salif Diallo. « A partir de là, une surveillance policière s’est installée au sein de l’UPC. Déjà, en juillet, le parti avait dressé une liste noire de députés supposés proches de la majorité. Mais après cet article, tout le monde nous voyait comme des traîtres », explique Daouda Simboro, ancien président du groupe UPC à l’Assemblée nationale.

Début octobre, Daouda Simboro a pris la tête d’une fronde au sein de l’hémicycle. Avec douze autres députés de l’opposition, il a quitté le groupe parlementaire UPC pour un nouveau, l’UPC/Renouveau démocratique. Le groupe UPC s’est retrouvé amputé de près d’un tiers de ses députés. Un coup dur pour le parti de Zéphirin Diabré, qui se refuse à reconnaître la nouvelle entité. Pour le chef de file de l’opposition, la fronde du « groupe des treize » a été manigancée par ses adversaires du MPP : « Le complot est réel, affirme Zéphirin Diabré. Après la mort de Salif, le groupe a été récupéré par le MPP au plus haut niveau. Ils les ont soutenus, et même financés, dans le but de nuire à l’UPC. »

Daouda Simboro nie formellement ses liens avec Salif Diallo et son projet de front de gauche, tout comme le fait d’avoir été récupéré par le MPP. Mais une vidéo publiée sur les réseaux sociaux fin octobre a remis de l’huile sur le feu. Une séquence surréaliste dans laquelle on voit Simon Compaoré, le ministre de la sécurité (MPP), en gilet pare-balles et kalachnikov à la main, lancer la petite phrase désormais devenue célèbre au Burkina : « On va les chicoter. » L’entourage du ministre l’avoue : la vidéo est authentique et a été filmée chez l’un des treize frondeurs de l’UPC, à qui Simon Compaoré était venu apporter son soutien.

Depuis, les appels à la démission du ministre de la sécurité se sont multipliés. Dans les couloirs des ministères, les rumeurs sur un remaniement ministériel vont bon train. Au MPP, on avoue être de plus en plus gêné par les sorties incontrôlables de Simon Compaoré, alors que le bilan du président Roch Marc Christian Kaboré ne cesse d’être critiqué et que la gestion du dossier sécuritaire est jugée catastrophique par certains. « Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle polémique. Il faudrait mettre Simon Compaoré à un poste plus à l’ombre », glisse un cadre du MPP.

« C’est une manipulation »

La démission du ministre de la culture, Tahirou Barry, le 26 octobre, est un autre coup dur pour le pouvoir. L’ex-président du Parti pour la renaissance nationale (Parena) a claqué la porte, dénonçant un « immobilisme avilissant, faute d’imagination de l’élite dirigeante », et exprimant une « déception profonde » quant au « sacrifice des martyrs, trahis par des dirigeants en crise d’initiatives ». En bisbille depuis plusieurs mois avec Laurent Bado, le fondateur du Parena, Tahirou Barry en avait été évincé en juillet. « C’est une manipulation. La manœuvre de Laurent Bado a été soutenue et financée par certains individus du MPP », dénonce un proche de Tahirou Barry, en référence à la frange « salifiste » du parti au pouvoir et au projet de front de gauche de Salif Diallo.

Pour le CDP, le marasme politique actuel est une aubaine. « C’est la providence, s’enthousiasme un cadre du parti. Entre les défections, les frasques du pouvoir… notre dynamique de réconciliation commence à prendre ! » L’opposition, actuellement dirigée par l’UPC, pourrait-elle basculer en faveur du CDP ? C’est ce qu’espère ce dernier. Pour l’heure, le parti de l’ancien régime s’active pour se trouver un président. De bonnes sources, certains auraient proposé un nom, et pas des moindres : Blaise Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire. « Rien ne dit qu’il accepte. Mais il pourrait gérer le parti à distance. » Trois ans après l’insurrection populaire qui a chassé Compaoré du pouvoir, son ancien parti semble bel et bien avoir lancé sa stratégie de reconquête.