LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, le documentaire est à l’honneur. Si vous ne l’avez pas encore vu, nous vous recommandons « Le Cri étouffé », de Manon Loizeau, dans lequel, pour la première fois, des
Syriennes en exil témoignent des atrocités qu’elles ont vécues sous le régime de Bachar Al-Assad. Autre enquête remarquable à signaler : « Les Gangsters de la finance » sur les coulisses de la banque HSBC. Un portrait de Dutronc et une balade avec Depardieu viendront égayer cette sélection de replays.

« Le cri étouffé » des Syriennes

C’est un crime d’Etat. Un de plus à mettre sur le compte du régime de Bachar Al-Assad. Un crime perpétré depuis plus de cinq ans dans le plus grand silence. Et pour cause, reposant sur un puissant tabou, le viol est devenu en Syrie une véritable arme de guerre. Une arme de destruction massive et de contrôle de toute une population, comme le révèle le documentaire choc de Manon Loizeau, coécrit avec Annick Cojean, grand reporter au Monde avec l’aide de la chercheuse libyenne Souad Wheidi.

Un documentaire où pour la première fois des femmes syriennes, désormais en exil, témoignent de ce qu’elles ont eu à subir du régime. Qu’elles le fassent comme Mariam ou Fouzia à visage découvert, en donnant les lieux et les noms de leurs bourreaux, ou sous couvert d’anonymat, par leur voix, souvent voilée de larmes, ou rompue par les sanglots.

On mesure l’immense courage qu’il leur a fallu déployer pour extraire du silence, de la honte et la peur, les mots capables de raconter l’enfer des violences physiques, la dépossession du corps, l’effondrement de l’âme, d’existences à jamais brisées. « L’injustice pour la femme, c’est d’être punie par la société et le régime (…). On est prises entre les coutumes, les traditions d’un côté, le régime de l’autre. Et on meurt coincées entre les deux », dit Nour, qui ajoute avec force : « Nous ne sommes pas une honte, nous sommes un honneur. » Paroles de résilience autant que paroles de combattantes qui ont choisi de témoigner pour alerter, c’est tout cela que nous fait entendre ce film empreint de force et de dignité. Christine Rousseau

« Syrie : le cri étouffé », de Manon Loizeau coécrit avec Annick Cojean (France, 2017, 75 minutes). A voir sur France.tv.

HSBC : une banque chargée de (mauvais) comptes

Cinq ans après leur enquête sur Goldman Sachs, Jérôme Fritel et Marc Roche (ancien correspondant du Monde à la City de Londres) livre un film sur un établissement bancaire sortant lui aussi de l’ordinaire. Encore mieux qu’un polar haletant, bénéficiant d’une réalisation soignée, de mises en perspective éclairantes à Londres, Hongkong, Paris, Genève ou Pékin et d’un impressionnant panel de témoins, ce documentaire évoque, entre autres joyeusetés, des pirates, des gangsters en costume-cravate, des pressions au plus haut sommet du gouvernement britannique, des menaces chinoises, des manipulations de devises à grande échelle, de l’argent très sale mais bien blanchi, des comptes cachés.

Avec la Hongkong and Shanghai Banking Corporation (HSBC), on entre dans une autre dimension qu’avec la discrète Goldman Sachs. Banque mondiale aux 300 000 collaborateurs, présente dans plus d’une centaine de pays, ouverte au grand public comme aux fortunes les plus secrètes, HSBC fait la loi. Sa loi. Celle d’une banque dont la surface financière, estimée à 3 000 milliards de dollars (2 554 milliards d’euros), en fait la cinquième puissance économique mondiale. Alain Constant

« Les Gangsters de la finance », de Jérôme Fritel et Marc Roche (France, 2017, 90 minutes). Sur Arte + 7.

Olivier Giroud, le parcours du combattant

On peut ne pas être un(e) inconditionnel (le) du joueur d’Arsenal et se laisser embarquer, non sans plaisir dans la longue enquête que lui ont consacré Sébastien Tarrago et Guillaume Dufy. Après le surdoué du foot et chouchou du public, Kylian M’bappé, nos deux compères ont donc choisi de se pencher sur Olivier Giroud.

Malgré des statistiques qui le placent parmi les dix meilleurs attaquants de l’histoire de l’équipe de France (29 buts en 69 sélections), l’ex-joueur de Montpellier est souvent critiqué et sa légitimité chez les Bleus remise en cause. Critiques doublées de polémiques extra-sportives qui ont atteint leur paroxysme lorsque son rival, Karim Benzema, a été écarté de l’équipe nationale après l’affaire dite « du chantage à la sextape », lui laissant le champ libre au poste très convoité d’attaquant.

Pourquoi Olivier Giroud divise-t-il autant le public et les commentateurs ? C’est ce qu’ont cherché à comprendre les deux journalistes de L’Equipe au fil d’une enquête, où retraçant en détail son parcours, ils interrogent une multitude d’acteurs (joueurs, entraîneurs, agents) mais aussi de proches dont sa mère.

Plus subtil qu’une hagiographie ou un plaidoyer, ce portrait permettra sinon de mettre un terme au débat entourant le Gunner, de le réévaluer auprès du public. Ch. R.

« Giroud, le mal-aimé », de Sébastien Tarrago et Guillaume Dufy. Sur la Chaîne l’Equipe.tv.

Dutronc, l’enfant gâté

Cinquante ans après être entré dans le show-business par effraction, Jacques Dutronc reste un gentleman cambrioleur et le revendique. « C’est quand même une grande escroquerie d’être payé pour venir chanter cinq ou six chansons », avoue-t-il à Frédéric Brunnquell qui lui consacre un long portrait au titre évocateur, Dutronc, la vie malgré lui.

Guitariste discret du groupe de rock les Cyclones, Jacques Wolfsohn, le manageur de Vogue le propulse chanteur du jour au lendemain. Sa mission : contrer Les Elucubrations d’Antoine qui font un carton. Concoctée sur un coin de table, la chanson Et moi, et moi, et moi… se vend aussitôt à des milliers d’exemplaires et fait de Dutronc une vedette.

Depuis cette blague en forme de malentendu, Dutronc jongle comme il peut avec cette gloire. C’est ce qu’il raconte en détail au réalisateur. Il revient aussi longuement sur sa carrière d’acteur. En contrechamp, Françoise Hardy avec qui il formait un couple mythique, évoque pudiquement et sans détours, sa relation passionnelle et destructrice avec ce Dutronc désinvolte, dépressif et cynique. Au fil du récit et malgré son sourire moqueur de vieille canaille, Dutronc perce un peu sa carapace. Et l’on sent chez lui une certaine fierté de faire partie du patrimoine. Daniel Psenny

« Dutronc, la vie malgré lui », de Frédéric Brunnquell (France. 2017, 110 minutes). Sur France.tv.

Depardieu ou l’éloge du silence

EUROPE 1 / NIKOS ALIAGAS

Parfois il suffit de trois fois rien, d’une idée toute simple, pour sortir du ronronnement une émission qui menace d’y tomber. Nikos Aliagas l’a bien compris, qui depuis la rentrée, tous les dimanches de 11 heures à midi, propose non plus de recevoir un artiste en studio, mais de partir en « balade avec » dans les lieux qui lui sont chers ou familiers. Une déambulation qui offre souvent de jolis moments intimistes, surprenant ou émouvant, comme ce dimanche avec Gérard Depardieu.

Entre son appartement du 6e arrondissement, peuplé de livres et le Cirque d’hiver où il chantait Barbara, il y a peu encore, le comédien parle avec tendresse de son amie qui demeure « vivante » en lui. A travers ses chansons, ses mots et ses silences. Et de silence justement, il est en beaucoup question dans cet entretien sensible et profond où tour à tour il évoque Racine, Saint-Augustin, dont Les Confessions ne le quittent pas, ou Giono.

Pour revenir encore et toujours au silence. Celui qui précède les mots sur scène, celui du public et donne le la, celui qui permet de « contrôler ses peurs, ses craintes, ses émotions ». En un mot, une manière d’être au monde et aux autres. Ch. R.

« En balade avec… » - Gérard Depardieu (diffusé le 10 décembre). Sur Europe1.fr