Les « cages à lapin » d’après-guerre s’arrachent à prix d’or
Les « cages à lapin » d’après-guerre s’arrachent à prix d’or
M le magazine du Monde
Longtemps décriée, l’architecture collective des années 1950 a de nouveau la cote. Les acquéreurs se ruent sur les appartements d’immeubles signés Le Corbusier, Fernand Pouillon ou Jean Prouvé.
Les logements de la tour Croulebarbe, construite par Édouard Albert en 1958, s’envolent jusqu’à 9 000 euros le mètre carré. / Architecture de collection
Les immeubles des années 1950 ont longtemps eu mauvaise presse. Qu’importe le charme de leurs façades épurées, vitrées et munies pour certaines de détails comme des loggias encastrées dans le béton, on n’y voyait que des « cages à lapins » mal insonorisées et mal isolées.
Soixante ans plus tard, ces ouvrages architecturaux s’arrachent à des prix en nette hausse. Les grands appartements de la tour Croulebarbe d’Édouard Albert, premier gratte-ciel de Paris, se vendent jusqu’à 9 000 euros le mètre carré, soit 1 000 euros de plus que la moyenne du 13e arrondissement — et il faut vouloir habiter dans une tour en métal de vingt-trois étages… A Marseille, les appartements de Fernand Pouillon, sur le Vieux-Port, peuvent partir à 13 000 euros le mètre carré. La cote de certains architectes moins célèbres monte également. « Les logements de standing de Jean Ginsberg, par exemple, prennent de la valeur, indique Simon Texier, auteur de Paris 1950. Un âge d’or de l’immeuble (Éd. du Pavillon de l’Arsenal). Il faut dire qu’il incarne réellement le versant moderniste des années 1950 ». Pour cet historien de l’art, la longue décennie allant de 1947 au début des années 1960 est une « époque de maturité pour l’architecture que l’on ignore souvent ».
Après la guerre, les grandes villes françaises connaissent une crise du logement sans précédent. Il faut construire, des immeubles sains et fonctionnels. Quelques architectes profitent de cet élan pour définir les bases du logement collectif moderne, faisant naître des pépites. « Certains immeubles ont été très bien pensés, explique Corinne Bélier, directrice au département des collections à la Cité de l’architecture, à Paris. Pour la première fois, les plans d’habitation faisaient la part belle aux pièces de vie centrales comme le séjour. C’est aussi l’arrivée des salles de bains et des cuisines intégrées. » Les propriétaires évoquent la lumière naturelle, omniprésente grâce aux larges baies vitrées. Façades ou plafonds sont ornés d’ouvrages d’arts appliqués, parfois réalisés par des Prouvé ou des Lagrange. « Ces appartements sont en général d’une grande fonctionnalité car ils ont remis l’homme au centre. Le Corbusier a pensé ses constructions en se fondant sur la stature humaine, explique Jérôme Louis, directeur de l’agence Espaces atypiques de Marseille, installée au sein même de la Cité radieuse. Mais il faut quand même être passionné pour y vivre. Dans les cellules d’habitation de la Cité, les plafonds sont à 2,40 mètres. On est loin du style haussmannien ou de la maison d’architecte. »
Symboles du modernisme des années 1950, les logements de Jean Ginsberg, à Paris, prennent de la valeur (ici, les parties communes). / Lionel Fourneaux/Hans Lucas/FLC/ADAGP, 2018
Ce renouveau immobilier est une conséquence de l’attraction que connaît, depuis une dizaine d’années, le design de la même période. « Je suis venu à cette architecture en achetant du mobilier de Charlotte Perriand [collaboratrice de Le Corbusier], que j’avais découverte, adolescent, à la station des Arcs », confie Pierre Guimard, qui s’est acheté cet été un 63 mètres carrés avec double vue sur la mer dans la Cité radieuse de Marseille. « Souvent, les gens commencent par s’acheter des pièces de design, puis ils songent à une maison ou à un appartement pour les mettre en valeur dans un univers cohérent », analyse Delphine Aboulker, fondatrice d’Architecture de collection, une agence immobilière qui valorise les biens des années 1950.
Les cellules d’habitation de la Cité radieuse de Le Corbusier, à Marseille. / Architecture de collection
Avec 2 500 immeubles années 1950 à Paris, pas besoin d’être acquéreur pour profiter
de ce patrimoine. Il suffit de se promener. Consciente de la demande, l’agence Architecture de collection salue la période dans le cadre du parcours architectural qu’elle propose dans le 16e arrondissement. La reproduction à l’échelle 1 d’une unité d’habitation de Le Corbusier est visible dans les collections de la Cité de l’architecture. Classée et rénovée, la tour Croulebarbe, qui fait l’objet de travaux de réhabilitation, devrait ouvrir au public dans un an. En province, il est possible de visiter l’appartement-témoin de l’architecte Auguste Perret, au Havre. Et dans les habitations « radieuses », à Marseille comme à Rezé, les parties communes sont accessibles au public qui, étrangement, ne parle plus de « cages à lapins ».
Les parcours d’Architecture de collection www.architecturedecollection.fr/les-parcours/Le Corbusier à Marseille www.marseille-citeradieuse.org
Le Corbusier à Rezé www.maisonradieuse.org/
Appartement-type Le Corbusier à la Cité de l’architecture
www.citedelarchitecture.fr/fr/collection/parcours-thematiques/la-reconstitution-de-lappartement-type-e2-de-la-cite-radieuse-de
Appartement-témoin Perret au Havre unesco.lehavre.fr/fr/decouvrir/lappartement-temoin-perret