O21. A Valenciennes, les corons étanches à la vague numérique ?
O21. A Valenciennes, les corons étanches à la vague numérique ?
Par Caroline Pain
A l’occasion de la seconde édition de « O21/S’orienter au 21e siècle » les 19 et 20 janvier à Lille, reportage à la Serre numérique, où se côtoient étudiants, chercheurs et entrepreneurs. Sans véritables liens avec les habitants.
20 décembre 2017, Valenciennes Métropole. À cheval sur les communes d'Anzin et Valenciennes, sur l'ancien site de l'usine Valorec renommé les rives créatives, la Serre numérique s'est installée dans le quartier Beaujardin, les faubourgs de Lille, en 2015. / OLIVIER TOURON POUR "LE MONDE"
Sedrat dessine de la main les hauts fourneaux et les usines qui s’élevaient ici. Aujourd’hui retraité, il a longtemps travaillé en tant que chalumiste dans l’usine de sidérurgie Vallourec. « Des milliers d’ouvriers, c’était tout le temps en activité ! » Il raconte la fumée crachée par les cheminées, le vacarme des machines. La vie. « Il y avait des magasins, des cafés, tout le long de cette rue, se souvient-il en remontant le col de son manteau. Puis ça s’est arrêté, et les magasins ont fermé. » Silence. Il regarde le bâtiment qui s’élève désormais à l’emplacement de l’usine. Cette « Serre numérique » de 17 000 mètres carrés dont la façade évoque un circuit imprimé géant. Il habite en face mais n’y est jamais entré. Sa fille, si. Une fois. « Ça lui a plu. »
Inaugurée en avril 2015, la Serre numérique a coûté 37,25 millions d’euros. Elle rassemble des entreprises, les trois écoles de design, jeux vidéo et animation du groupe Rubika et leurs 850 élèves, ainsi que des laboratoires de recherche. Lancé à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Grand Hainaut, le projet est de créer une « fertilisation croisée ». Autrement dit, rassembler dans un même bâtiment différents acteurs pour leur permettre d’interagir. Ces liens traversent-ils les immenses baies vitrées de la Serre ?
« 160 emplois ont été créés, indique Eric-Dominique Deburge, vice-président du développement économique et du numérique à Valenciennes Métropole. L’objectif à l’horizon 2025 est de 2 000 emplois. » Les 25 entreprises de la Serre embauchent. Mais combien de Valenciennois ? Chez VSI Innovation par exemple,sur les sept employés, seul Anthony est originaire du secteur. Mais la plupart des autres salariés ont décidé de s’installer ici. Au fond d’une impasse, non loin, Abderezak nettoie sa voiture à l’aide d’un aspirateur. Ce trentenaire algérien est employé en intérim pour la sécurité incendie du lieu. « C’est un beau bâtiment, oui, mais j’y vais pour le travail et ça s’arrête là », lâche-t-il en souriant. Il admet par ailleurs qu’il se méfie de tout ce qui touche au numérique. « En Algérie, dans ma région, des jeunes se sont suicidés à cause d’un jeu vidéo. Je ne veux pas que mes enfants jouent à ça. »
La Serre numérique de Valenciennes. / OLIVIER TOURON POUR "LE MONDE"
Créer des liens localement
La Serre compte pourtant sur le jeu vidéo pour créer des liens avec les habitants du quartier. Le « Gamelab » permet de tester des jeux vidéo auprès d’utilisateurs potentiels. Les chercheurs ont ainsi travaillé avec une école basée à Ronchin, près de Lille.
Stéphane André, directeur de Rubika, voudrait renouveler cette expérience avec des écoles locales. « On aimerait vraiment que les élèves de l’école soient des passeurs, qu’ils échangent autour de leur projet, explique-t-il. Je pense qu’on peut mieux faire, on a eu une phase d’installation, maintenant on doit partager. » Stéphane André souhaite par ailleurs mettre en place un système de bourses pour aider des étudiants du cru à financer les 8 000 euros de frais de scolarité annuels à Rubika.
Aristote, élève en troisième année à Supinfocom, la filière animation, est fier d’avoir pu participer à l’organisation de différents événements. « On a déjà exposé nos œuvres à la bibliothèque et au Musée de Valenciennes, je me souviens d’un petit garçon qui était comme un fou, il voulait tout voir, » raconte-t-il en souriant. Pour des projets, les étudiants doivent par ailleurs souvent échanger avec des habitants ou des entreprises locales. Mais Odilon, de la filière design, reconnaît que le temps manque pour des projets extrascolaires. « Il y a des jours où on part le matin, il fait nuit, on rentre chez nous, il fait nuit. On s’investit beaucoup dans nos études, et c’est vrai que ça laisse peu de temps pour s’ouvrir, admet ce jeune qui a fait le choix d’habiter dans un immeuble à vocation intergénérationnelle. Pour le moment, on est surtout des étudiants, mais d’autres habitants plus âgés devraient s’installer. »
Du côté des élus et des responsables de la Serre, on l’admet volontiers, l’objectif initial de ce projet n’était pas l’ouverture au grand public. « L’intention première est la création d’emplois », affirme Eric-Dominique Deburge. « Cela s’adresse à des professionnels qui veulent concrétiser un projet, explique Mélissa Bourgeois, responsable de la Serre numérique auprès de la CCI Grand Hainaut. On se voulait complémentaire par rapport à des dispositifs déjà existants, comme la Nouvelle forge avec son fab lab, plus accessible. » La CCI voudrait par ailleurs mettre en place des créneaux fixes pour accueillir le grand public, le mercredi ou le week-end par exemple.
Mais pour l’instant, certains estiment que les liens sont quand même manquants, surtout auprès d’un public parfois peu sensibilisé au numérique. A quelques centaines de mètres de la Serre se trouve la maison de quartier Beaujardin. Son directeur, Jérémy Pommerolle, a pris les choses en main avec d’autres acteurs locaux. « L’agglomération a pris le parti de créer un pôle d’excellence, ils n’avaient pas besoin d’un public. » Avec son équipe, et l’aide de l’association Hors cadre, ils ont monté un projet pour tourner une vidéo au sein de la Serre.
20 décembre 2017. Valenciennes Métropole. À cheval sur les communes d'Anzin et Valenciennes, le long de la rue Péclet qui monte qui s'appelle de l'Escaut lorsqu'elle descend, sur l'ancien site de l'usine Valorec, renommé les rives créatives, la serre numérique s'est installée dans le quartier Beaujardin, les faubourgs de Lille, en 2015, et reste encore un peu mystérieuse pour ses habitants. // © Olivier Touron / Divergence / OLIVIER TOURON POUR "LE MONDE"
Prothèses en 3D
« On a été très bien reçu, explique Ilies Mahmmed, l’animateur qui a encadré le projet. On a fait une journée de préparation avec sept jeunes, et ensuite on est allés tourner sur place. » Ayoub, 12 ans, faisait partie du projet : « On voulait être renseigné sur ce qu’ils faisaient. » Mais Adam, lui, peine un peu à se souvenir, il se concentrait surtout sur le tournage. « Mais si, l’interpelle Ayoub, rappelle-toi, ils nous ont montré des prothèses pour les dents imprimées en 3D ! » Les collégiens ont rapporté en souvenir un petit personnage de Dark Vador rouge fabriqué par une des imprimantes 3D de la Serre.
Dans le même temps, ils ont fait, avec le comité d’usagers du quartier et le conseil citoyen, une enquête auprès des habitants. « Avez-vous entendu parler de la Serre numérique ? Qu’en savez-vous ? Est-ce que vous pensez que la Serre numérique donne de la valeur à votre quartier ? Etes-vous intéressé pour une future collaboration ? » Voilà les questions auxquelles les habitants du quartier ont répondu, ainsi que d’autres, sur leur usage du numérique. La maison de quartier est en train de restituer les informations collectées. « Nous allons proposer aux différents acteurs de faire une table ronde au premier trimestre 2018 pour envisager des collaborations. » Pour Jérémy Pommerolle, les habitants attendent des choses concrètes qui pourraient avoir un impact sur leur quotidien : comment s’approprier le numérique par exemple.
En attendant, une nouvelle employée responsable du numérique a été embauchée à la maison de quartier. C’est là que les habitants peuvent venir suivre une formation informatique et pourront bientôt accéder à une borne pour pouvoir imprimer des documents administratifs.
Participez à « O21 / S’orienter au 21e siècle »
Pour aider les 16-25 ans, leurs familles et les enseignants à se formuler les bonnes questions lors du choix des études supérieures, Le Monde organise la seconde saison d’« O21 / S’orienter au 21e siècle », avec cinq dates : après Nancy (vendredi 1er et samedi 2 décembre 2017, au centre Prouvé), rendez-vous à Lille (vendredi 19 et samedi 20 janvier 2018, à Lilliad), à Nantes (vendredi 16 et samedi 17 février 2018, à la Cité des congrès), à Cenon, près de Bordeaux (vendredi 2 et samedi 3 mars 2018, au Rocher de Palmer) et à Paris (samedi 17 et dimanche 18 mars 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie).
Dans chaque ville, les conférences permettront au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers sont aussi prévus.
Il reste des places pour participer à O21 Lille ! Pour toutes les villes, les inscriptions se font gratuitement via ce lien.
En images : les temps forts d’O21, nos conférences pour s’orienter au 21e siècle, à Nancy
Pour inscrire un groupe de participants, merci d’envoyer un e-mail à education-O21@lemonde.fr. L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.