A Berwick-upon-Tweed (nord de l’Angleterre), en juin 2016. / OLI SCARFF / AFP

Alors que le Brexit a commencé à plonger le Royaume-Uni dans un certain isolement diplomatique, le pays a décidé de lutter contre un nouveau fléau social : la solitude. Theresa May a nommé, mercredi 17 janvier, une secrétaire d’Etat chargée des personnes isolées et confié ces fonctions à Tracey Crouch, ministre des sports. Neuf millions de personnes (sur une population de 65,6 millions) souffrent de solitude au Royaume-Uni selon la Croix-Rouge et 200 000 personnes âgées affirment n’avoir parlé à aucun ami ou proche dans le mois précédent. La première ministre a affirmé vouloir « prendre des mesures contre la solitude endurée par les personnes âgées, ceux qui ont perdu des êtres chers, les gens qui n’ont personne à qui parler ».

La mobilisation gouvernementale sur ce sujet traduit la volonté de poursuivre le combat engagé par Jo Cox, la députée travailliste assassinée à 41 ans, le 16 juin 2016, dix jours avant le référendum sur le Brexit, par un sympathisant d’extrême droite devant une bibliothèque municipale où elle rencontrait ses électeurs. Alarmée par l’étendue du phénomène, Jo Cox avait créé une commission parlementaire sur la solitude qui avait recommandé la nomination d’un ministre ad hoc.

La fondation qui perpétue sa mémoire a poursuivi ce travail en publiant, en décembre, un rapport qui a évalué à neuf millions le nombre de personnes isolées et estimé que l’altération à la santé liée à la solitude équivaut au fait de fumer quinze cigarettes par jour. Aux Etats-Unis, un ancien ministre de la santé, Vivek Murthy, écrit dans la Harvard Business Review que le fléau est associé à « un plus grand risque de maladies cardio-vasculaires, de maladies neurodégénératives, de dépression et d’anxiété » et devrait être combattu sur les lieux de travail.

Quantifier le phénomène

La nouvelle « ministre de la solitude » britannique doit mettre au point une méthode statistique pour quantifier le phénomène et aider financièrement les associations à multiplier les initiatives destinées à briser l’isolement. Il existe déjà des groupes comme Men in Sheds (partage de compétences et formation entre hommes âgés), Pies and Pints (repas du troisième âge dans des pubs) ou Knit and Natter (tricot et papotage). De même que des Alzheimer cafés, réunions mensuelles de personnes affectées par la maladie.

Les critiques ont fait remarquer qu’un gouvernement qui provoquait la fermeture de nombreuses bibliothèques publiques et de centres sociaux, du fait de sa politique d’austérité, était mal placé pour prétendre lutter contre la solitude. La frénésie des Britanniques pour les livraisons à domicile qui évitent de fréquenter les magasins et les restaurants est aussi débattue, de même que le rôle pervers des réseaux sociaux. « La solitude est une construction culturelle, une affaire de mode de vie. C’est l’enfant de l’union entre l’analphabétisme social et le paradigme néolibéral », écrit Stewart Dakers, qui tient une chronique sur le troisième âge dans le Guardian.

Plus inattendu, un autre éclairage a été donné par Kim Leadbeater, sœur cadette de Jo Cox. Alors que la députée assassinée a laissé le souvenir d’une femme rayonnante, confiante et ouverte, sa sœur a expliqué les raisons intimes de sa croisade contre la solitude. Jeune fille issue d’une famille populaire du nord de l’Angleterre, Jo Cox avait souffert d’isolement lors de ses études dans la très huppée université de Cambridge et téléphonait souvent à sa sœur Kim pour en parler. Elle avait aussi traversé des périodes de blues, après la naissance de son premier enfant, lorsqu’elle s’était retrouvée seule dans la journée avec le bébé.