En Algérie, avec les restrictions d’importation, « il faut attendre un mois pour pouvoir réparer une chaudière »
En Algérie, avec les restrictions d’importation, « il faut attendre un mois pour pouvoir réparer une chaudière »
Par Zahra Chenaoui (Alger, correspondance)
Le ministère du commerce a publié en décembre une liste d’environ 900 produits désormais interdits d’entrée. Au risque de relancer le marché noir.
« Je n’ai plus de shampoing. Il ne reste plus que Vénus [une marque algérienne] sur le marché », lance la vendeuse d’un local de cosmétiques près d’Alger. La cliente secoue la tête en souriant et ressort les mains vides. Le 19 décembre 2017, le ministre du commerce, Mohamed Benmeradi, a annoncé l’interdiction d’importer plus de 900 produits finis. Depuis la chute des prix du baril de pétrole, les revenus de l’Etat algérien ont fondu. Nourrie par ses ventes d’hydrocarbures, l’Algérie a peu développé son industrie. En 2014, le montant des importations dépassait 60 milliards de dollars (48,4 milliards d’euros). Pour réduire la facture, les gouvernements successifs ont tenté de réguler les importations et de favoriser la production locale, en instaurant par exemple des « licences d’importation ». Cette fois, le ministère du commerce espère économiser 1,5 milliard de dollars.
« Les clients veulent des produits étrangers »
« C’est une décision malheureuse, estime pourtant la propriétaire de l’échoppe de cosmétiques. Je m’étais engagée avec un client pour lui fournir des colorations pour cheveux, et du jour au lendemain, je ne peux plus en acheter. Les gens vont l’importer dans les cabas [système d’importation informel via les bagages de voyageurs, très utilisé dans le pays], mais moi je vends en gros, c’est impossible à gérer. »
Le quartier d’Al-Hamiz, à 15 km à l’est du centre d’Alger, est un immense marché où se revend tout type de marchandises, très souvent importées. Ici, les rues sont encombrées par de grandes camionnettes blanches. Dans la « rue de l’électroménager », sur des étagères métalliques, mixeurs, batteurs électriques et fers à repasser sont entreposés du sol au plafond. Les marques sont françaises, allemandes, mais pas algériennes. « Les clients veulent des produits étrangers, explique Samir, un vendeur. Les produits algériens sont fragiles et il n’y a pas de garantie ni de service après vente fiable. » Son collègue s’emporte : « Pourquoi est-ce que l’Etat veut décider de ce qu’on a le droit d’acheter ou pas ? » Dans le local d’en face, Amir, un commerçant venu faire des stocks de petit électroménager, livre son analyse : « On sait très bien que ceux qui fabriquent de l’électroménager algérien sont les amis de ceux qui ont fait la loi. »
Ruptures de stock
Le long de l’une des rues principales d’Al-Hamiz, un immense magasin de robinetterie a affiché « Made in Italy » sur sa devanture. « Il y a de grosses ruptures de stock. Pour pouvoir réparer une chaudière, il faut attendre au moins un mois », affirme le gérant. « C’est une décision politique pour développer l’industrie nationale et on soutient cela, ajoute un employé. Mais les fournisseurs algériens ne sont pas capables de répondre à la demande du marché. Il ne fallait pas tout bloquer comme ça, il fallait nous laisser une solution avant. »
Dans les rayons du plus grand supermarché d’Alger, les paquets de gâteaux importés de France ont presque disparu. Dans l’allée des tablettes de chocolat, il reste trois petits cartons d’une marque à l’emballage violet, très consommée depuis 2012 dans le pays. A côté, une poignée de marques nationales, dont certaines sont quasi inconnues. Une jeune femme dubitative en interpelle une autre :
« Celui-là, il est bon ? »
« Non, ça, c’est pour les gâteaux. Essayez plutôt l’autre. »
Un jeune homme en gilet rouge, chargé de remplir les rayons, résume : « L’importation de chocolat, c’est terminé. Donc il faut faire avec ceux-là ». A Alger comme à Oran, les boutiques d’une grande marque suisse ont fermé à la fin de l’année 2017. « On va faire comme dans les années 1980 et 1990, soupire Amina, mère de trois enfants. On va demander à nos familles de nous ramener de la pâte à tartiner et des produits de beauté dans leurs valises. » Le « trabendo » (marché noir) n’avait pas complètement disparu depuis la fin de la décennie noire (1991-2002), mais il pourrait repartir de plus belle avec ces mesures d’interdiction.
« Nourrir la corruption »
Au-delà des articles de consommation courante, des dizaines de produits industriels sont désormais bloqués. L’interdiction du glucose pourrait paralyser l’industrie du médicament, celle des arômes, la fabrication de la pâtisserie et des boissons. « Les arômes fabriqués en Algérie ne sont pas de la même qualité que ceux que nous importons, explique l’un des membres de l’association des producteurs de boissons. Environ 85 % des arômes sont importés. Vous pensez que le producteur algérien va pouvoir, en vingt-quatre heures, multiplier sa production par quatre ? Tout le monde va contourner la loi ! » Abdelkrim Boudra, membre du cercle de réflexion économique Nabni, renchérit : « Les habitudes prises ces dernières années pour des produits de seconde nécessité, voire de luxe, ne peuvent pas être effacées… Il existera toujours une classe moyenne supérieure qui voudra acheter ces produits. L’offre ne pourra que s’aligner. »
Depuis plusieurs semaines, l’économiste Ferhat Ait Ali fait le tour des plateaux de télévision pour tenter d’expliquer l’impact de cette nouvelle loi : « On pousse des filières entières vers l’importation informelle. Cela va nourrir la corruption et pousser à la surfacturation pour alimenter le marché parallèle en devises étrangères. »