« L’Insulte » : guerre civile au prétoire
« L’Insulte » : guerre civile au prétoire
Par Thomas Sotinel
Le cinéaste Ziad Doueiri tente de décomposer les tenants et les aboutissants de l’histoire du Liban depuis un demi-siècle.
Il y a d’un côté un professionnel sérieux, conducteur de travaux, soucieux du bien-être des autres. De l’autre un type mal embouché, que l’on voit dès la première séquence perdre patience face à son épouse enceinte, alors que celle-ci lui demande tout bêtement s’il ne serait pas temps de quitter Beyrouth pour s’installer au calme. Dans la brève exposition des deux personnages, dont l’affrontement constitue la matière de L’Insulte, il y a quelque chose de simple et de rassurant, malgré le caractère hautement explosif de leur environnement, le Liban, qui n’en finit pas de ressasser les souvenirs de la dernière guerre civile tout en redoutant et fantasmant la prochaine.
Ziad Doueiri, scénariste de son film avec Joëlle Touma, veut, à travers le choc entre Yasser (Kamel El-Basha), le contremaître palestinien, et Tony (Adel Karam), le garagiste chrétien, décomposer les tenants et les aboutissants de l’histoire du Liban depuis un demi-siècle en une série d’éléments simples (historiques, sociologiques, psychologiques) qui rendraient le conflit entre les deux hommes – métaphore, bien sûr, d’une guerre plus générale – à la fois compréhensible et résoluble. Ce souci de simplification fait échouer le film, commencé, comme une comédie sardonique rythmée, dans un prétoire. Et plus le procès qui oppose Tony et Yasser dure, plus L’Insulte perd de son allant et de sa distance pour n’être plus que la déclamation d’une thèse sur les responsabilités d’un camp et de l’autre dans la catastrophe qui a englouti le Liban à partir de 1975.
Saisi par la colère
L’insulte, c’est celle que Yasser lâche à l’endroit de Tony après que celui-ci l’a arrosé depuis son balcon. Le Palestinien a remis aux normes l’écoulement des eaux de l’appartement du Libanais sans son autorisation. L’outragé exige des excuses. Lorsque Yasser se rend au garage de Tony, de mauvaise grâce, pour les lui présenter, il est accueilli par l’enregistrement d’un discours de feu Bachir Gemayel, dénonçant son peuple comme une plaie qui s’est abattue sur le Liban et, saisi à son tour par la colère, frappe son interlocuteur au lieu de s’excuser.
S’ensuit une série de procédures dont l’écho devient national. Yasser est défendu par une jeune avocate chrétienne (Diamand Bou Abboud, vue dans Une famille syrienne, de Philippe Van Leeuw) pendant que Tony a recours aux services de Me Wehbe (Camille Salameh), vieux routier de la politique, figure du camp chrétien. Au fil des révélations qui sont le lot des films judiciaires, Ziad Doueiri vide ses personnages de leur individualité (et pourtant les interprètes ne déméritent pas, notamment Adel Karam, impressionnant en tête de mule) pour en faire les symboles de situations historiques. On suppose que le cinéaste invoquera pour justifier sa conclusion la fameuse réplique de La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939) : « Tout le monde a ses raisons. » Mais si cette excellente généralité reste indispensable pour construire des personnages complexes, elle n’est plus que platitude si l’on s’en sert pour analyser l’Histoire.
L'INSULTE, de Ziad Doueiri - Bande-annonce
Durée : 02:00
Film libanais et français de Ziad Doueiri. Avec Kamel El-Basha, Adel Karam, Diamand Bou Abboud, Rita Hayek, Camille Salameh (1 h 52). Sur le Web : diaphana.fr/film/linsulte