Union africaine : « Il faut susciter le sentiment d’appartenance à une communauté de destin »
Union africaine : « Il faut susciter le sentiment d’appartenance à une communauté de destin »
Par Yann Gwet (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour notre chroniqueur, ignorer le défi identitaire serait dangereux pour la survie du projet panafricain.
Chronique. Le 30e sommet de l’Union africaine (UA) qui vient de s’achever à Addis-Abeba, a été un succès à maints égards. L’accession de Paul Kagamé à la présidence de l’institution continentale a suscité un vif intérêt au sein des opinions publiques africaines, ce qui donne au leader rwandais un capital politique indispensable pour mener à bien des chantiers ambitieux dans un délai court.
Malgré quelques réticences, la nécessité de réformer l’UA, et notamment de lui donner les moyens de son autonomie financière (donc politique), fait consensus, et des décisions importantes (zone de libre-échange continentale, marché unique du transport aérien, etc.) sur le plan de l’intégration économique ont été actées.
Au rang des bonnes nouvelles figure également la bonne entente entre Paul Kagamé et le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, dont le rôle dans le dispositif de transformation de l’organisation est central. Je suis donc optimiste au sujet de la présidence Kagamé.
Etre africain, cela doit avoir un sens
Mais des défis importants demeurent, qui pourraient enrayer la machine. Ils sont de trois ordres : techniques, politiques et identitaires. Sur le plan technique, l’UA est historiquement plus apte à prendre des décisions qu’à les appliquer. Une organisation plus efficace, couplée à une réelle volonté politique, permettrait de régler progressivement ce problème.
Sur le plan politique, les intérêts nationaux et continentaux sont parfois en conflit. Dans bien des cas, le réflexe des dirigeants des pays membres est de privilégier les intérêts nationaux. Une meilleure coordination entre ces pays, les communautés économiques régionales et l’institution africaine est souhaitable. La particularité des défis techniques et politiques est qu’ils sont connus, discutés, et que des pistes de solutions existent.
L’enjeu identitaire est quant à lui en grande partie ignoré, ce qui le rend d’autant plus dangereux pour la survie du projet panafricain. Il faut susciter et alimenter dans le cœur des masses africaines le sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Etre africain, cela doit avoir un sens.
A cet égard, les difficultés que connaît l’Union européenne (UE) devraient faire réfléchir les leaders du continent. D’une certaine façon, l’objectif initial du projet européen a été atteint : une guerre ouverte entre des pays de ce continent est aujourd’hui difficilement imaginable. L’Europe est une puissance économique dont l’influence politique est significative. Elle est pourtant confrontée à une crise existentielle, dont le Brexit est un puissant révélateur.
L’une des causes profondes de cette crise est l’échec de la construction d’une identité européenne qui transcenderait (ou coexisterait harmonieusement avec) les identités nationales. L’euroscepticisme s’est constamment nourri de ce déficit. Sans surprise, les ravages d’une globalisation sauvage ont progressivement conduit à une flambée des nationalismes, à un repli sur soi généralisé et à un rejet désormais clairement affirmé de l’idéal européen.
Promouvoir le panafricanisme
L’Afrique est mieux placée que l’Europe pour éviter ces errements. Nous avons en commun l’expérience, fondatrice, de la colonisation et des luttes de libération nationale. Les guerres interétatiques qui ont ensanglanté l’Europe pendant des siècles (culminant dans les deux guerres mondiales) sont ici plus l’exception que la règle. Peut-être plus significatif, nos pays sont souvent des entités artificielles – ce qui signifie que l’africanité est à ce jour notre identité la plus crédible.
Si cette dernière réalité complique singulièrement la construction, par ailleurs nécessaire, d’identités nationales, elle pourrait en revanche faciliter l’émergence d’une conscience africaine. Le grand paradoxe africain n’est-il pas que nous nous connaissons plutôt mal entre Africains, alors qu’en même temps chacun d’entre nous est attaché à une certaine idée (même vague) de l’Afrique ? Cet actif émotionnel peut servir de levier pour affermir l’unité du continent et assurer la stabilité de l’UA.
Le projet d’un passeport africain, auquel les hommes d’affaires du continent peuvent désormais prétendre, est important de ce point de vue. Il matérialise notre commune destinée. Des programmes comme l’African Union Youth Volunteer Corps, qui offre l’opportunité à de jeunes Africains d’exercer leurs talents dans différents pays du continent, doivent être davantage promus et même améliorés. Mais nous pouvons faire mieux. Une histoire du panafricanisme ne pourrait-elle pas être enseignée dans les écoles secondaires sur l’ensemble du continent ? Est-il illusoire d’imaginer la création de centres culturels panafricains dans nos pays ou nos communautés régionales ?
En attendant, le drapeau de l’UA ne pourrait-il pas flotter, en compagnie de nos drapeaux nationaux, sur le toit des palais présidentiels des pays membres, et l’hymne continental systématiquement entonné lors de nos fêtes nationales ? Quels meilleurs moyens d’incarner notre communauté de destin et de forger des imaginaires panafricains, prélude à l’émergence de citoyens africains ?
Yann Gwet est un essayiste camerounais.