« Nous assistons à un cycle d’action-réaction » entre l’Iran, Israël et la Syrie
« Nous assistons à un cycle d’action-réaction » entre l’Iran, Israël et la Syrie
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Ofer Zalzberg, analyste principal à l’International Crisis Group, examine l’escalade militaire dans le sud-ouest de la Syrie, qui s’est traduite, samedi, par des frappes israéliennes autour de Damas.
Les restes d’un avion de combat israélien qui s’est écrasé après avoir été touché par la défense anti-aérienne syrienne, samedi 10 février. / AFP / Jack GUEZ / JACK GUEZ / AFP
La matinée de samedi 10 février a été marquée par la plus sérieuse escalade militaire entre Israël et la Syrie depuis des années. A l’origine : un drone attribué par l’armée israélienne à l’Iran, qui avait pénétré dans l’espace aérien israélien. Tsahal a aussitôt lancé un raid pour détruire son site de lancement, au cours duquel un avion F16 a été touché et s’est écrasé en Israël. Le pilote est grièvement blessé.
Cet incident a entraîné une réplique massive des forces israéliennes, qui ont visé douze sites, syriens et iraniens autour de Damas (Syrie). Deux jours avant cette escalade, l’organisation International Crisis Group avait publié un rapport très documenté sur le risque d’un nouveau front en Syrie, impliquant Israël. L’un de ses auteurs, Ofer Zalzberg, analyse les ressorts de la détérioration sur le terrain.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël répond militairement après qu’un drone a pénétré dans son espace aérien. Mais, ce matin, l’armée israélienne a agi avec une rapidité et une ampleur sans précédent. Cela signifie-t-il que les acteurs testent leurs lignes rouges respectives ?
Ofer Zalzberg : Effectivement, un incident impliquant un drone syrien n’est pas une chose nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est un drone iranien pénétrant dans l’espace aérien israélien. Pour les officiels israéliens, il s’agit d’une violation par l’Iran de l’espace israélien — l’appareil a été détruit 30 km au sud de la clôture entre Israël et la Syrie — et d’une indication claire de la collecte de renseignements par l’Iran sur Israël afin de se préparer à un conflit armé.
Nous assistons à un cycle d’action-réaction, dans lequel les parties font preuve d’une prise de risque supérieure à celles dans le passé récent : l’Iran, afin d’accroître ses capacités de renseignement sur Israël ; Israël, afin de tracer les lignes rouges qui protègent son espace aérien ; et enfin la Syrie, afin de protéger son espace aérien de frappes israéliennes.
Même si personne ne semble désireux, dans l’immédiat, de déclencher une nouvelle guerre, qui pourrait se transformer en conflit régional, pourquoi la tension monte-t-elle depuis le début de l’année ?
Tandis que les combats progressent, [le chef de l’Etat syrien, Bachar Al-] Assad et ses alliés ont repris de plus en plus de territoires et se sentent maintenant confortés. Dès lors, ils peuvent enfin réorienter des ressources et prendre des risques pour compromettre les opérations aériennes israéliennes en Syrie. Cette attitude nouvelle peut avoir un impact sur la capacité d’Israël à frapper les convois d’armement du Hezbollah allant de Syrie vers le Liban, transportant notamment des missiles de haute précision qui peuvent causer des dégâts majeurs à Israël dans une guerre future avec le Hezbollah.
A quelle conclusion avez-vous abouti dans votre rapport, publié le 8 février, dans lequel vous mettiez en garde contre une escalade possible en Syrie ?
La Russie, qui est un soutien important du régime d’Assad, est la seule puissance en Syrie en mesure de faciliter la conclusion de deux nouvelles séries d’arrangements, destinées à réduire le risque d’une confrontation plus large. Cela doit être fait dans deux domaines. Dans le sud-ouest de la Syrie, la Russie doit négocier des arrangements pour conforter l’accord de désescalade, éloignant les forces soutenues par l’Iran de la ligne de cessez-le-feu entre la Syrie et Israël. Et elle doit chercher à négocier un modus vivendi entre Israël et l’Iran en Syrie, dans lequel l’Iran renoncerait à construire des ateliers de fabrication de missiles à haute précision et des infrastructures militaires, tandis qu’Israël accepterait la présence de forces étrangères dans le reste de la Syrie, en attendant la conclusion d’un accord sur l’avenir du pays. En l’absence de tels arrangements, les risques d’une escalade entre Israël, l’Iran et le Hezbollah seront bien plus élevés. Les événements de la nuit dernière en sont l’illustration.
Comme vous le notez dans votre rapport, ces derniers mois ont été marqués par des contacts intensifiés entre Israël et la Russie. Sont-ils productifs ? Israël peut-il vraiment compter sur Moscou pour juguler les plans iraniens ?
La coordination entre Israël et la Russie existe dans la mesure où Israël est, dans les faits, autorisé à frapper des cibles du Hezbollah et de l’Iran en Syrie. Les Syriens sont parfaitement au courant du fait que la Russie aurait pu utiliser ses technologies antimissiles avancées pour empêcher les frappes israéliennes, mais elle ne l’a pas fait. Mais en même temps, les Israéliens savent bien, à la lumière des incidents de la nuit dernière, que la Russie a permis au drone de traverser la Syrie et d’entrer dans l’espace aérien israélien.
Dès lors, nous voyons que la Russie fait de son mieux pour ne pas se retrouver prise au milieu du conflit entre l’Iran et Israël et pour maintenir des relations correctes avec les deux parties. On comprend bien que cela va être de plus en plus difficile. Si Moscou veut préserver des relations de coopération avec les deux parties, il est de son intérêt de parvenir à de tels arrangements. Dans leur cadre, il lui sera plus facile de protéger ses alliés à Damas. Dans le contexte d’un large conflit avec l’Iran et le Hezbollah en Syrie, Israël pourrait procéder à des frappes incapacitantes contre l’armée syrienne.
Quelles seraient les conséquences si les milices chiites soutenues par l’Iran intégraient l’armée syrienne ?
La première conséquence serait qu’il y aurait des forces armées fidèles à Téhéran au sein de l’armée syrienne. Cela rendrait bien plus improbable la possibilité pour Israël et la Syrie de revenir à la situation antérieure à 2011, quand leurs frontières étaient, de facto, les plus calmes de toutes celles qu’a Israël. Pour dire les choses simplement, il sera plus difficile de stabiliser la dynamique entre Israël et la Syrie, même si toutes les forces iraniennes et celles du Hezbollah quittent le pays.