Affaire Maëlys : la police scientifique au cœur de l’enquête
Affaire Maëlys : la police scientifique au cœur de l’enquête
Propos recueillis par Eléa Pommiers
Pour Richard Marlet, ancien chef du service régional d’identité judiciaire de Paris (1995-2005), l’étude des « traces » a été primordiale dans cette affaire.
C’est une petite trace de sang retrouvée au terme de six mois d’enquête qui a finalement poussé Nordahl Lelandais aux aveux, mercredi 14 février. Après des mois de négation, le principal suspect dans cette affaire d’enlèvement a reconnu avoir tué la fillette de 9 ans, disparue dans la nuit du 26 et 27 août 2017, en Isère.
Richard Marlet est commissaire divisionnaire honoraire, ancien chef du service régional d’identité judiciaire de Paris (1995-2005), et il enseigne la police technique et scientifique à l’Institut de criminologie de Paris. Pour lui, l’affaire Maëlys montre bien l’« importance de l’exploitation des traces » et le rôle de la police scientifique.
Diriez-vous que la police scientifique a joué un rôle central dans l’affaire Maëlys ?
Il y avait plusieurs éléments au dossier, comme les traces d’ADN ou cette voiture lavée pendant des heures. Mais il est vrai que le mis en examen [Nordahl Lelandais] avait réponse à tout. C’est effectivement la mise en évidence de cette trace de sang qui a fissuré sa défense et l’a fait passer aux aveux.
Ce qui est intéressant avec cette affaire, c’est que l’on voit tout du long l’importance de l’exploitation des traces. Ces traces, qu’elles soient digitales, génétiques, numériques, sont toujours le vestige d’une action ou d’une présence. L’ADN découvert dans la voiture montrait par exemple la présence de Maëlys.
Mais il s’agissait probablement d’une trace de contact : elle pouvait avoir été laissée par Maëlys elle-même, mais également par le mis en examen qui l’aurait touchée et aurait ensuite déposé son ADN dans l’habitacle de la voiture. La trace de sang dans le coffre est beaucoup plus parlante.
La présence de Maëlys dans le coffre aurait également pu être matérialisée si on y avait retrouvé des traces d’odeur. Mais le mis en examen avait voulu masquer ces traces d’odeur et avait lavé sa voiture avec un produit qui a empêché la police de les récolter.
Toutes ces traces doivent être innombrables quand vous arrivez sur une scène de crime, comment procédez-vous pour les identifier, les trier, et les préserver ?
En effet, les spécialistes de la police technique et scientifique savent très bien qu’une scène de crime est toujours polluée, d’autant qu’ils sont rarement les premiers intervenants. Les gardiens de la paix, les pompiers, ou toute personne étant passée sur la scène de crime ont logiquement laissé leurs traces. Donc les spécialistes relèvent les profils ADN et les empreintes digitales de toutes ces personnes, pour éliminer les traces non pertinentes.
Ensuite, il ne faut pas oublier que nous n’avons pas de preuve, nous n’avons que des traces sans signification et qui ne deviendront des indices que si on leur fait dire quelque chose. Pour cela, nous devons leur garantir une sécurité juridique : tous les éléments de la scène de crime doivent figurer dans les constatations écrites faites par le procédurier.
Nous devons aussi nous assurer de leur « qualité » : elles doivent être prélevées avec précaution et méthode, et être conditionnées de manière à ne pas être contaminées avant leur examen au laboratoire. On ne mettra pas, par exemple, un tissu tâché de sang dans un sac plastique qui laisse passer la lumière, l’humidité, et permet le développement de bactéries.
Ce doit être un travail particulièrement long…
En effet, c’est un travail particulièrement minutieux. Il faut absolument mettre en évidence toutes les traces qui mettent en lien l’auteur, la victime, l’arme etc.
Nous devons donc faire attention à ne pas détruire des traces en en cherchant d’autres, et c’est pourquoi il existe de nombreux protocoles. Nous savons par exemple que si nous utilisons de la poudre pour mettre en évidence des empreintes digitales, nous aurons ensuite du mal à trouver de l’ADN. Nous disposons aussi de produits qui peuvent être vaporisés pour révéler les traces de sang même quand elles ont été lavées, mais si nous aspergeons toute une scène de crime nous risquons de polluer de futurs prélèvements ; il faut donc préférer les lumières monochromatiques. Il faut examiner l’endroit centimètre par centimètre, et c’est très long.
Dans le cas de Maëlys, les spécialistes de la police technique et scientifique ont abord réalisé tout cela dans l’habitacle de la voiture, avant de regarder ce qu’il y avait dessous. Et même une fois la trace de sang découverte, c’est très compliqué. Il faut se demander s’il s’agit bien de sang, de sang humain, et si un profil génétique peut en être extrait.
Comment toutes ces techniques ont-elles évolué avec le temps ?
Par exemple, pour l’attentat de 1995, je me souviens qu’à Orsay [17 octobre 1995, 26 blessés], on étaient restés sur la scène de crime quelques heures – sept, huit, dix peut-être. Alors qu’à Port-Royal [3 décembre 1996, 4 morts et 96 blessés], on était restés trois jours. Il ne s’est pas passé beaucoup de temps entre les deux, mais on avait appris à faire des choses, on avait appris qu’une scène de crime c’était plusieurs jours.
C’est aussi ce qui est très intéressant dans l’affaire Maëlys : l’importance des traces numériques, que j’appelle la troisième révolution en termes de police scientifique. La première était les empreintes digitales, la deuxième les empreintes génétiques. Là on voit bien l’utilisation des traces laissées par les téléphones, le bornage, mais aussi le traitement des images vidéo. Avec le traitement de ces traces, les progrès sont rapides et constants.
Par exemple, si on récupère 24 heures d’images de la RATP, il faudrait des centaines d’enquêteurs pour les visionner. Mais maintenant avec les progrès de l’intelligence artificielle, on est capable d’identifier qu’il ne se passe rien sur telle séquence, et donc de la passer, ou encore de dire aux ordinateurs de reconnaître un visage. Cela s’est fait sur les cinq dernières années.
Peut-on aujourd’hui résoudre une affaire sans avoir recours à la police scientifique ?
C’est vrai qu’on nous demande beaucoup sur toutes les affaires mystérieuses, où les liens entre victimes et auteurs ne sont pas clairs. Mais environ 80 % des homicides commis en France ne sollicitent pas la police scientifique de façon très prolongée ! Un homme a tué sa femme, ou l’amant de sa femme, ou c’est une bagarre qui a mal fini… On demande juste à la police scientifique de vérifier que les éléments matériels correspondent bien à l’hypothèse de base.
D’autre part, la police scientifique sert presque surtout à la résolution des affaires de petite et moyenne délinquance. C’est là qu’on identifie le plus de traces digitales.
Dans le cas de l’affaire Maëlys, les enquêteurs pourront-ils encore trouver des traces à l’endroit où le corps a été retrouvé ?
C’est une nouvelle scène de crime, qu’il va falloir analyser à nouveau. Les traces d’odeur disparaissent au bout de 48 heures, mais pas les empreintes digitales ou génétiques. Là on a parlé d’ossements découverts. On pourrait retrouver des traces de fractures, ou des traces laissées par une arme qui aurait atteint les os et qui nous donneraient des indications sur les circonstances de sa mort.