Le Soudanais Ahmed (au centre) et l’Erythréen Hassan (à droite), dans le nouveau studio d’un de leurs amis  à Vichy, le 21 décembre 2017. / Sandra Mehl pour "LE MONDE"

Trente mois de France, déjà ! Ils s’appellent Hassan, Alsadig et Ahmed ; sont arrivés à Paris à l’été 2015. Les trois Africains, qui font partie d’un groupe de réfugiés dont Le Monde suit l’intégration en France dans le cadre du programme The New arrivals, s’impatientent un peu, à Vichy, de n’être pas encore des ­citoyens lambda, anonymes dans la ville. En ce début 2018, Hassan, 37 ans, est le seul de ce trio à travailler. Chaque matin, il prend sa voiture et file, vers les champs des Jardins de Cocagne, l’entreprise d’insertion qui l’a embauché en juillet 2017. De l’aveu de son patron, Alexandre Mondet, « Hassan est autonome. Il comprend très bien le français, s’exprime de mieux en mieux ». Une sacrée reconnaissance pour le salarié qui bientôt se trouvera un emploi non fléché.

Enfin, « pas tout de suite », freine un peu son patron. « Il manque encore quelques codes à Hassan. Le plus difficile : les codes culturels », explique celui qui vient non seulement de refuser un après-midi à l’Erythréen pour faire réparer sa voiture, mais lui a en prime expliqué que ce genre d’autorisation ne se demande pas à un employeur.

Pour M. Mondet, la demande d’Hassan est « normale », sa réponse à lui, aussi. C’est ce dialogue et cet apprentissage que permet un travail en insertion. Cet habitué des publics éloignés de l’emploi – selon l’expression consacrée – estime que deux années d’insertion sont en général nécessaires avant d’être prêt à travailler chez un patron classique en ayant toutes ses chances d’y réussir et d’y être bien.

« Bureaucratie infertile »

Alsadig et Ahmed, eux, n’en sont pas encore à la case « travail », et, même si tous deux s’expriment bien et ont déjà « compris » la France, ils ont surtout vu où se trouvent les nœuds. « Il est difficile de commencer à travailler. Pourtant nous avons envie de travailler », vient d’ailleurs d’écrire le groupe de réfugiés soudanais de Vichy à leur députée La République en marche, Bénédicte Peyrol, pour partager avec l’élue la condition de réfugié, en France, en 2018.

De la France, tous trois ont d’abord senti la froideur du bitume parisien, connu les trottoirs en guise de matelas, avant de se retrouver dans le squat du lycée Jean-Quarré, dans le 19e arrondissement. Et puis, en octobre 2015, un matin à l’aube, des bus les ont évacués vers Varennes-sur-Allier et son centre d’accueil et d’orientation (CAO). « On a passé plusieurs mois là avant d’arriver à Vichy où on a été hébergés comme demandeurs d’asile, puis comme réfugiés, et où finalement on a commencé à faire nos premiers pas vers l’autonomie », résume Ahmed, 27 ans.

Pour lui, la plus grosse galère a été le logement. Il vient juste de s’installer, alors qu’il cherchait ­depuis des mois un studio. Entre les propositions de marchands de sommeil et les loueurs qui ont peur du statut de réfugié, le jeune homme a dû être hébergé par une citoyenne solidaire entre la fin de son placement en foyer de demandeur d’asile et son emménagement récent. Outre cette difficulté, qu’il lui aurait été ­difficile de surmonter seul, ­Ahmed a aussi connu les galères de ce que le ­courrier à la députée qualifie de « bureaucratie infertile ».

Pour pouvoir bénéficier d’une formation, le jeune homme devait valider sa demande sur son espace personnel de Pôle emploi. Sauf qu’Ahmed n’avait ni ordinateur ni connexion Internet. Il a essayé de créer cet espace virtuel avec son téléphone portable, en vain. Et sans un coup de pouce amical, il ne serait sans doute toujours pas inscrit à la formation FIMO (Formation initiale minimale obligatoire), sésame pour conduire des poids lourds en France. « Il était bloqué et plus rien ne se passait », s’agace Pablo Aiquel, un ­Vichyssois solidaire, qui l’a aidé à faire installer une connexion ­Internet dans son appartement.

Retisser un lien

D’ici peu, le jeune homme, qui a appris très rapidement le français grâce au dévouement des bénévoles, va retrouver le plaisir d’être occupé toute la journée. Un ­changement qu’il attend avec impatience, lui qui, hormis les deux cents heures de cours de français de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et les douze heures de contrat d’intégration républicaine, a surtout appris la France et le français grâce à ses amitiés vichyssoises, au bénévolat et aux coups de mains précieux d’Issam Othman , premier Soudanais qui se soit installé là, en 2001.

Alsadig, lui, s’est senti « un peu bloqué tant qu’il ne savait pas s’il obtiendrait le statut de réfugié ». Une fois ce cap franchi, il a mis l’accélérateur et réalisé des progrès très rapides en français. « Parce que je devais ça à la France qui m’a accordé sa protection. Avant le statut, je n’étais pas vraiment prêt à progresser, même si j’aimais les cours de Marie, Bernard ou Claudine [bénévoles du Réseau Vichy solidaire] », analyse Alsadig. Son rêve à lui, c’était de retisser un lien avec son passé perdu, et de devenir électricien parce qu’il avait « fait ce travail au Soudan ». Un souhait en train de se concrétiser depuis sa rencontre avec Pierre-Martin Aubelle.

Le directeur des Clés de l’atelier, une petite entreprise lyonnaise de formation aux métiers du bâtiment, a lu sur le site du Monde.fr le rêve de ce garçon de 27 ans. Il l’a joint et lui a proposé de l’inscrire avec un autre réfugié à une de ses formations. Comme Alexandre Mondet, des Jardins de Cocagne, Pierre-Martin Aubelle est habitué aux publics éloignés de l’emploi, sait les étapes qu’il faut franchir une à une vers l’autonomie, et aime baliser ce chemin pas si ­facile mais nécessaire pour avancer. Tous deux prennent pour la ­première fois un réfugié.