Burkina Faso : à peine ouvert, le procès du putsch manqué de 2015 est reporté
Burkina Faso : à peine ouvert, le procès du putsch manqué de 2015 est reporté
Par Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance)
Face à une juridiction militaire, qu’ils qualifient d’« illégale » et d’« inexistante », les avocats de la défense ont obtenu un premier report de deux semaines du procès.
Ce n’est une surprise pour personne. Moins de quatre heures après son ouverture, mardi 27 février au matin à Ouagadougou, le procès du putsch manqué de septembre 2015 a été reporté à la mi-mars. Pas moins de 84 accusés, dont les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, comparaissaient devant un tribunal militaire pour avoir tenté, en vain, de renverser le gouvernement de transition mis en place après la chute du président Blaise Compaoré (1987-2014). Une tentative qualifiée par les Burkinabés de « coup d’Etat le plus bête du monde », qui fit 14 morts et 251 blessés.
C’est à la reprise de l’audience, en début d’après-midi, que les avocats de la défense ont organisé le premier coup de théâtre de ce procès très attendu par les Burkinabés. Tous se sont levés et sont sortis de la salle des banquets de Ouaga 2000, transformée pour l’occasion en salle d’audience.
Michel Traoré, un des avocats de la défense, dénonce alors une « juridiction d’exception » qui « viole la loi » : « Ils ont renouvelé les membres du tribunal militaire, dont le président, par un décret qui a été publié le 22 février. La loi dit qu’il faut un délai de huit jours ouvrables avant que le président puisse siéger. Nous sommes le 27 ! Nous, avocat de la défense, attendons que la juridiction régularise la situation. Si des gens doivent être jugés, c’est dans le respect de la loi. »
« Nous comparaissons devant une juridiction inexistante »
Les avocats des 84 accusés dans ce dossier historique ont plus d’une carte dans leur jeu. S’ils ont sorti celle-ci, c’est parce que les deux d’avant, jouées dès l’ouverture du procès, n’ont pas fonctionné. Les avocats n’ont même pas laissé le temps au président de la cour, Seydou Ouédraogo, de faire l’appel. « Nous comparaissons devant une juridiction inexistante », a dénoncé d’emblée Mathieu Somé, l’un des cinq avocats de Gilbert Diendéré, chef de l’ex-régiment de sécurité présidentielle (RSP), qui a assumé le putsch manqué. Selon Me Somé, les accusés ont été cités à comparaître devant une chambre de jugement qui a été supprimée en juillet 2017. Par une loi modificatrice, l’Assemblée nationale a effectivement remplacé cette chambre de jugement par une « chambre de première instance » et une « chambre d’appel ».
Une heure plus tard, après l’interminable appel des 307 parties civiles constituées, nouvelle interruption. Le président procède au tirage au sort pour nommer les trois juges assesseurs, des militaires, qui devront composer la cour au côté des deux magistrats professionnels. Mais pour siéger et juger les généraux Diendéré et Bassolé, au moins deux des assesseurs militaires doivent être plus gradés ou plus anciens qu’eux.
Seul un des tirés au sort, le général de brigade Robert Tinga Guiguemdé, sera finalement nommé. Car la plupart des autres généraux éligibles tirés au sort figuraient sur la liste des témoins fournie par… le général Diendéré. Ce dernier aurait-il prévu son coup pour empêcher la cour de siéger ? C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Guy-Hervé Kam, un des avocats de la partie civile, sous les applaudissements de la salle : « Allez-vous céder à un plaideur aux abois qui met sur sa liste de témoins tous les généraux pour qu’ils ne puissent pas siéger ? Il ne faut pas céder à ce jeu-là. »
Défense de rupture
Le président Seydou Ouédraogo a finalement pris une ordonnance pour pouvoir élire des militaires de grade inférieur comme juges assesseurs. « Ce qu’on veut tous, c’est la recherche de la vérité », a-t-il rappelé devant des magistrats échauffés, avant de leur suggérer de se défaire des « sentiments de haine ou de compassion ».
Avant d’entendre les principaux intéressés à la barre, les Burkinabés vont devoir prendre leur mal en patience et attendre que les débats sur la forme soient clos. Une stratégie qui était attendue par les avocats de la partie civile. « Lorsque les charges qui pèsent sur les accusés sont énormes, en général est utilisée ce qu’on appelle la défense de rupture, c’est-à-dire chercher par tous les moyens à discréditer la juridiction qui va siéger. C’est exactement ce qui s’est passé aujourd’hui. Mais nous y reviendrons tôt ou tard, les personnes poursuivies devront rendre compte au peuple burkinabé », a déclaré Guy-Hervé Kam à la sortie de l’audience.
Selon le parquet militaire, le procès devrait reprendre dans deux semaines avec, sans doute, de nouveaux débats sur la forme pour ce procès hors norme.