En annonçant, lundi 26 février, le recours aux ordonnances pour réformer la SNCF et la fin du statut des cheminots pour les nouvelles recrues de l’entreprise publique, le premier ministre, Edouard Philippe, devait s’attendre à une vive réaction des syndicats. Elle n’a pas manqué. La CGT, l’UNSA, SUD-Rail et la CFDT, les quatre organisations représentatives à la SNCF, ont prévu de se réunir en intersyndicale dès mardi. L’UNSA, deuxième syndicat de l’entreprise, a indiqué qu’elle proposera une grève avant la journée d’action du 22 mars dans la fonction publique.

Elle fait écho à la CFDT-Cheminots qui, bien que non associée à cette mobilisation, a souhaité « appeler à une grève reconductible à partir du 12 mars », selon son secrétaire général, Didier Aubert. « L’important est d’être unitaires », a ajouté Bruno Poncet, secrétaire fédéral de SUD-Rail, qui voit dans les annonces gouvernementales une volonté de « casser du cheminot », de « casser l’entreprise publique et creuser les inégalités entre tous les Français ».

« Oui l’entreprise doit évoluer, mais avec les cheminots, pas contre les cheminots. » Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT

Dans un entretien au journal Les Echos, à la tonalité très critique à l’égard de la « méthode Macron », le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, a fustigé le recours aux ordonnances pour la SNCF. S’il se dit prêt à discuter des conditions de l’ouverture à la concurrence ou de l’évolution de la gouvernance du groupe ferroviaire, il estime que « les difficultés de l’entreprise ne peuvent se résoudre au statut des cheminots, après des années de sous-investissement ». « Oui l’entreprise doit évoluer, mais avec les cheminots, pas contre les cheminots », insiste M. Berger, ajoutant qu’il ne laissera « personne cracher à la figure des cheminots, pareil pour les fonctionnaires ».

« De l’huile sur le feu »

C’est dans des termes proches que Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, syndicat non représentatif à la SNCF, a critiqué le recours aux ordonnances, susceptible selon lui « de mettre de l’huile sur le feu ». Interrogé sur Franceinfo, lundi, M. Mailly a dénoncé la « tentation [du gouvernement] de vouloir passer en force et de confondre vitesse et précipitation ». « Est-ce que c’est le statut qui est à l’origine des 46 milliards [d’euros] de dette de la SNCF ? Je ne pense pas », s’est-il interrogé avant de dénoncer « un sous-investissement chronique depuis des années à la SNCF ».

Est-ce parce que la mobilisation des syndicats laisse planer la menace d’un conflit de grande ampleur pour le gouvernement, toutes les organisations de conducteurs de train, et notamment du TGV, étant partie prenante à l’intersyndicale ? Lundi soir sur France 2, Edouard Philippe s’est voulu apaisant. « Je ne vais pas au conflit. J’ai bien entendu un certain nombre de représentations des organisations syndicales, qui considéraient que le recours aux ordonnances, prévu par la Constitution, était un casus belli. Moi, je ne me situe absolument pas dans une logique de conflictualité, de guerre, de bras de fer. Je dis simplement que nous devons avancer », a-t-il déclaré.

« Ce qui est dangereux pour la SNCF, ce qui est inacceptable pour les Françaises et les Français, c’est le statu quo », a insisté le premier ministre Edouard Philippe

« Je ne veux pas l’enlisement. Ce qui est dangereux pour la SNCF, ce qui est inacceptable pour les Françaises et les Français, c’est le statu quo, a insisté le premier ministre. Année après année, la qualité de service décroît. On a un système ferroviaire dans lequel, chaque année, on met de plus en plus d’argent (…) avec des résultats de moins en moins bons. »

Contestée par les syndicats, la réforme de la SNCF préparée par le gouvernement ne passe pas mieux auprès des partis politiques. Sur Twitter, Eric Coquerel, député de La France insoumise, s’insurge contre la volonté du premier ministre de « casser le statut des cheminots » et de « privatiser la SNCF ».

A l’autre extrémité de l’éventail politique, Nicolas Bay, député européen du Front national, a déploré le recours aux ordonnances. « Il participe d’une logique qui consiste à essayer de confisquer ou en tout cas de réduire le débat démocratique », a expliqué le leadeur frontiste. Ce dernier a reconnu qu’il y avait « une nécessité de réformer le statut » des cheminots, mais il souhaite, sans plus de précisions, que soit maintenu un « statut spécifique ».

La droite, aussi, critique le projet de réforme. Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France, en a souligné les manques. « On passe à côté de l’essentiel. L’essentiel, c’est que le rapport Spinetta et ce que veut faire le gouvernement passent complètement à côté des cinq millions de passagers qui prennent le train tous les jours », a dénoncé M. Bertand.

Pour le président de région et ancien ministre du travail, le recours aux ordonnances, « c’est une façon pour le gouvernement de montrer ses muscles en disant : regardez, on est très courageux, mais ce n’est pas ça qui va changer les choses du jour au lendemain, et ce n’est pas ça qui nous dit comment vont être faits aujourd’hui les investissements dans la sécurité et la qualité des transports. [Là], c’est l’impasse totale. On est avec le rapport Spinetta dans un exercice de communication. »

Dans un communiqué, le Parti socialiste accuse, lui, l’exécutif de « passer en force », de priver le « pays d’un temps indispensable de débat démocratique » et d’adopter, « sans réserve, la vision comptable du rapport Spinetta ».

Fonction publique sous tension

La mobilisation des cheminots intervient dans un contexte particulièrement lourd dans la sphère publique : les syndicats de la fonction publique en sont déjà à leur deuxième journée de mobilisation, prévue le 22 mars. Les cheminots avaient d’ailleurs annoncé, avant la présentation de la réforme de la SNCF, qu’ils s’y joindraient.

L’intersyndicale, composée de sept syndicats sur neuf, compte sur une forte mobilisation des fonctionnaires ce jour-là pour faire reculer le gouvernement ou, à tout le moins, le faire dévier un tant soit peu de sa route réformatrice. L’enjeu du 22 mars est d’établir un rapport de force. Ce sera donc une journée-test, voire un « crash-test », si le résultat s’avérait par trop décevant.

Les syndicats misent sur l’accumulation des déceptions et des déconvenues. La brouille entre le gouvernement et les 5,4 millions de fonctionnaires a commencé très tôt après l’élection d’Emmanuel Macron. Les agents ont à peine digéré la promesse de campagne de supprimer 120 000 postes sur le quinquennat que, dès l’été, les mauvaises nouvelles pleuvent : le point d’indice, gelé de 2011 à 2015, l’est de nouveau à partir de 2018 ; une journée de carence est instituée pour les congés maladie ; la hausse de la CSG, qui doit se traduire par une hausse de pouvoir d’achat pour les salariés du privé, est tout juste compensée pour les fonctionnaires. Une action unitaire, la première depuis dix ans, est organisée le 10 octobre.

C’est dans ce contexte que le gouvernement a lancé, en septembre, la réforme de l’Etat. Les mesures ne sont pas encore connues. Elles ne le seront qu’en avril. Mais l’exécutif a d’ores et déjà ouvert le chantier « fonction publique ».

A l’issue d’un premier « comité interministériel de la transformation publique », le 1er février, le premier ministre annonce un recours accru aux contractuels, le développement de la rémunération au mérite, la simplification des instances représentatives des personnels, un plan de départs volontaires… L’annonce produit l’effet d’une douche froide pour les syndicats de la fonction publique. Dès le 6 février, sept sur neuf (c’est-à-dire hormis la CFDT et l’Unsa) annoncent donc de nouvelles grèves et manifestations pour le 22 mars.

« Le voile tombe »

Aujourd’hui, les mobilisations s’entrechoquent. L’Unsa fonction publique n’appelle pas ses adhérents à participer au mouvement de mars, contrairement à l’Unsa Ferroviaire et l’Unsa Territoriaux. Ce mouvement de réforme foisonnant, qui ne devrait pas déboucher sur une grande loi « réforme de l’Etat » mais s’appliquer au fil de l’eau, peut aussi bien désorienter les opposants, comme l’espère peut-être le gouvernement, qu’aboutir à la fusion des luttes.

C’est évidemment ce que souhaitent les syndicats. Pour l’heure, ils fourbissent leurs armes. Réunis le 21 février, ils ont de nouveau fustigé les « orientations inquiétantes » du gouvernement, appelant les agents à descendre « massivement » dans la rue le 22 mars. A la CGT, on espère que la colère va finir par lever et faire gonfler la mobilisation. « Les fonctionnaires constatent que le voile tombe. Ils se rendent compte que le président de la République et le gouvernement sont des adversaires de la fonction publique », estime Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT.

« Le mécontentement ne se mesure pas tout le temps à l’aune du nombre de manifestants. Ce que je vois, c’est que les tensions s’accumulent dans les Ehpad, les hôpitaux, chez Carrefour, dans les prisons, la police, l’éducation, les collectivités territoriales », a rappelé le secrétaire général de la CFDT dans Les Echos.