« Les Chinois sont encore très ignorants des cultures du continent africain et de ses diasporas »
« Les Chinois sont encore très ignorants des cultures du continent africain et de ses diasporas »
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
Notre chroniqueur revient sur le tollé suscité par un sketch mettant en scène des acteurs grimés en Noirs ou en animaux et diffusé sur la première chaîne d’Etat pour le Nouvel An chinois.
Chronique. En recourant à une comédienne chinoise grimée en Africaine, un sketch diffusé en Chine par la télévision d’Etat a provoqué un tollé. Le sketch fait treize minutes. On y voit l’actrice Lou Naiming le visage recouvert de maquillage noir et affublée d’un postérieur factice. Un plateau de fruits sur la tête, elle lance en mandarin un vibrant « J’aime la Chine ! ». Applaudissements dans la salle.
Cette petite comédie est censée promouvoir l’amitié sino-africaine et les investissements grandissants de Pékin dans les infrastructures en Afrique. Il est fait mention à plusieurs reprises de la construction de la ligne de chemin de fer Nairobi-Mombasa. La séquence met aussi en scène un groupe de danseurs noirs arborant pagnes, coiffes à plumes et tam-tams aux côtés d’acteurs déguisés en zèbres, girafes et lions. Un autre personnage grimé en singe gambade sur la scène sous les fous rires des spectateurs.
« Profonde ignorance »
Le gala du Nouvel An chinois sur l’antenne de CCTV, la très officielle première chaîne d’Etat chinoise, dans le cadre duquel le sketch a été diffusé, est suivi par 800 millions de Chinois. Il fait l’objet d’un conducteur millimétré et passé au peigne fin par la censure. Alors comment expliquer cette grossière caricature ? « Je ne crois pas que cela constitue du racisme à proprement parler, explique au Monde Afrique Hodan Osman Abdi, directrice du centre d’études africaines à l’Université normale du Zhejiang. Cela montre en revanche la profonde ignorance des Chinois concernant les cultures du continent et des diasporas africaines. »
Cette sinologue somalienne assure que cette affaire doit servir de signal d’alarme pour « alerter sur l’importance des échanges culturels et ne plus se concentrer sur les seules relations politiques et économiques ». « Le racisme existe dans le monde entier mais, en Chine, je pense qu’il s’agit surtout pour l’essentiel d’ignorance et d’absence de sensibilités lorsqu’on évoque la question des races. »
Même analyse pour Deborah Brautigam. La sinologue américaine experte des relations sino-africaines justifie cette maladresse : « Ces dernières années, l’économie chinoise s’est développée plus rapidement que n’importe quel autre pays dans l’histoire moderne. Pour ceux d’entre nous qui ont visité la Chine dans les années 1970, les changements sociaux sont époustouflants. Sans aucun héritage lié à l’esclavage, le racisme chinois envers les Africains n’a jamais été aussi profond que le nôtre aux Etats-Unis. La recherche nous apprend que les préjugés de racisme et d’ignorance tels que nous les avons vus dans l’émission de CCTV ne sont pas profondément ancrés dans les cerveaux des Chinois. Il suffit de lire les commentaires outrés sur les réseaux sociaux chinois et le débat qui s’en est suivi pour comprendre que quelque chose est en train de changer. Si une relation réfléchie, respectueuse et amicale avec les Africains est vraiment souhaitée à Pékin, ils permettront à ces débats de se poursuivre parmi les internautes chinois. Des conversations comme celle-ci font partie de la façon dont les Chinois vont se “réveiller” de leur racisme. »
« Justifier l’injustifiable »
Mais si les causes sont bien identifiées, le mal n’est pas diagnostiqué par les censeurs chinois qui veillent au grain. Les débats qui ont fait rage sur les réseaux sociaux du pays après la diffusion de l’émission ont vite été censurés. « Je n’y vois pas du tout l’expression de l’amitié sino-africaine, mais l’attitude raciste d’une soi-disant grande puissance arrogante. C’est complètement inapproprié », écrivait un internaute sur le réseau Weibo. Son message a été effacé, tout comme la réaction d’un autre qui ironisait sur l’émergence d’un « nouvel orientalisme où l’ingénieur chinois remplace le missionnaire occidental » en terre africaine.
La presse officielle a même sorti le drapeau pour défendre la nation chinoise agressée par un Occident incapable de comprendre les relations sino-africaines et, chose rare, le ministère des affaires étrangères a publié un commentaire outré : « La Chine a toujours été opposée à toutes les formes de discrimination raciale. Tous les prétextes pour saper les relations entre la Chine et l’Afrique sont futiles. Les pays africains savent bien au fond de leur cœur quelle est l’importance de nos relations. » Cependant, la chaîne CCTV ne s’est pas excusée, ni même expliquée.
« Trop souvent, on nous sert l’excuse de spécificités culturelles pour justifier l’injustifiable. Ce n’est pas parce qu’en Chine ce type de spectacle est considéré comme acceptable et qu’en Occident il ne l’est pas, que cela n’est pas offensant », explique Dani Madrid-Morales, professeur à l’Université de Hongkong. La Chine, comme l’Inde, a un problème avec le racisme anti-Noirs, lançait le Washington Post, rappelant la série de scandales de ces dernières années.
Des montages accusés de racisme
Car ce n’est pas la première fois qu’une telle affaire secoue la Chine-Afrique. En octobre 2017, un musée chinois a dû retirer une série de photos mettant en vis-à-vis des Africains et des animaux, à la suite de nombreuses protestations en provenance du continent. On y voyait un enfant noir ouvrant la bouche à côté d’un singe dans la même attitude, un adulte montrant les dents à côté d’un lion…
Ces montages ont suscité la colère des internautes en Afrique. En mai 2016, une publicité vantant les mérites d’une lessive capable de laver un Noir pour le transformer en Asiatique avait également enflammé Internet. A l’été 2017, le film Wolf Warrior 2 charriait des tonnes de clichés sur une Afrique misérable et violente. Le film avait battu tous les records au box-office.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.