Comment Cédric Bakambu est devenu le joueur africain le plus cher de l’histoire
Comment Cédric Bakambu est devenu le joueur africain le plus cher de l’histoire
Par Alexis Billebault
L’attaquant congolais, auteur de 9 buts en Liga avec Villarreal, a été transféré début mars au club chinois de Beijing Guoan pour 74 millions d’euros.
L’attaquant congolais Cédric Bakambu, auteur de neuf buts en Liga avec Villarreal, a rejoint, jeudi 1er mars, le club chinois de Beijing Guoan pour la coquette somme de 74 millions d’euros. Un transfert record qui nécessite quelques explications.
- Un transfert qui a duré près de deux mois
Au début du mois de janvier, l’affaire semblait réglée. Cédric Bakambu, 26 ans, déjà auteur de 9 buts en Liga avec Villarreal, allait signer très vite un contrat de quatre ans avec Beijing Guoan, sur la base d’un salaire brut annuel de 18 millions d’euros, soit le même que Kylian Mbappé au Paris Saint-Germain (PSG). Pourtant, le transfert du joueur formé au FC Sochaux a pris beaucoup plus de temps que prévu.
Le montant de la clause libératoire de l’attaquant à Villarreal était de 37 millions d’euros. Depuis l’année dernière, le gouvernement chinois taxe à 100 % les clubs du pays qui achètent un footballeur étranger pour un montant d’au moins 5,9 millions d’euros, afin de financer la formation des jeunes joueurs locaux. Grâce à un savant montage financier, Cédric Bakambu a lui-même racheté cette clause – avec l’aide de Beijing Guoan – et donc sa liberté.
« Le club chinois a ensuite tenté d’échapper à cette taxe ou au moins de la faire diminuer, résume une source proche du dossier. Mais les autorités du football chinois ont refusé. Soit Beijing Guoan passait à la caisse, soit le transfert ne se faisait pas. » Cédric Bakambu est devenu un joueur de Beijing Guoan le jeudi 1er mars pour 74 millions d’euros, après avoir passé près d’un mois à se préparer avec sa future équipe au Portugal. Dimanche 4 mars, le Congolais a connu des débuts difficiles dans le championnat chinois puisque son club s’est incliné (3-0) sur le terrain du Shandong Luneng.
- La Chine, un eldorado pour les footballeurs ?
Le signal donné par les autorités aux clubs de la Chinese Super League (CSL) est clair. En 2016, 1,1 milliard d’euros avait été dépensé sur le marché des transferts. Et 300 millions d’euros supplémentaires à l’hiver 2017.
Le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, grand amateur de football, a imposé un peu plus de retenue de la part des clubs. « En Chine, les droits télé ne sont pas très élevés, explique Raffaele Poli, le directeur de l’observatoire du football du Centre International d’étude du sport (CIES) à Neuchâtel (Suisse). Les billets vendus dans les stades le sont à un tarif modeste. Ces transferts, associés à des salaires élevés, ne sont pour l’instant pas rentables. L’Etat souhaite donc que les clubs chinois investissent dans la formation de jeunes joueurs afin de les faire évoluer d’abord en Super League avant de vendre les meilleurs à l’étranger, ce qui rapportera de l’argent. Mais cela prendra des années. »
- Choix sportif ou choix financier ?
A Villarreal, Cédric Bakambu émargeait à environ 2 millions d’euros par an, hors primes. « Il y a des sommes qui ne se refusent pas », admet Romarin Billong, l’ancien international camerounais de Lyon, Saint-Etienne et Nancy. Le buteur congolais lui-même ne fait pas mystère de l’aspect financier dans le choix qui l’a poussé à accepter l’offre de Beijing Guoan. « Bien sûr que cela est important. Je sais ce que les gens disent : que je ne suis parti que pour l’argent… Mais je me fiche de ce qu’ils peuvent penser. J’assume mon choix ! Oui, je vais très bien gagner ma vie, mais je vais aussi faire ce que j’aime, jouer au football », explique Cédric Bakambu, réputé pour sa franchise.
« Il a fait un choix que je comprends. Il va gagner beaucoup d’argent. Il va mettre sa famille à l’abri et ses qualités de joueur ne vont pas disparaître sous prétexte qu’il va évoluer dans un championnat moyen. A sa place, beaucoup feraient la même chose. Aujourd’hui, les joueurs ont tendance à privilégier l’aspect financier avant le sportif. C’est dans l’air du temps », analyse François Zahoui, le sélectionneur ivoirien du Niger.
L’agent français Alain Gauci, qui travaille avec plusieurs internationaux africains – le Marocain Yunis Abdelhamid (Reims, Ligue 2), le Cap-Verdien Nuno Da Costa (Strasbourg, Ligue 1), le Centrafricain Eloge Enza Yamissi (Valenciennes, Ligue 2) – rappelle que Pierre-Emerick Aubameyang, lui aussi courtisé par des clubs chinois prêts à lui offrir un pont d’or, a préféré quitter le Borussia Dortmund (Allemagne) pour Arsenal et la prestigieuse Premier League anglaise. « Il aurait pu gagner plus en Chine, mais il a fait le choix du sportif. Je constate qu’aujourd’hui, de très bons joueurs partent en Chine, en Russie, en Turquie alors qu’ils sont encore jeunes. Bakambu n’a que 26 ans. Il y a encore quelques années, ils rejoignaient ces championnats moins relevés que ceux du top 5 européen (Angleterre, Allemagne, Espagne, France, Italie) souvent vers 30 ans… Mais je ne suis pas certain que Bakambu restera quatre ans en Chine. Il pourrait revenir plus tôt en Europe. »
- La cote des joueurs africains est-elle en hausse ?
Cédric Bakambu a rejoint la Chine pour 74 millions d’euros. Quelques jours avant lui, Arsenal avait déboursé 63 millions d’euros (hors bonus) pour s’offrir le Gabonais Pierre-Emerick Aubameyang. Liverpool, après avoir acheté en juin à l’AS Roma (ITA) l’Egyptien Mohamed Salah pour 42 millions d’euros (hors bonus) et le Sénégalais Sadio Mané (ex-Southampton) 36 millions d’euros un an plus tôt, a de nouveau puisé dans son bas de laine en dépensant 54 millions d’euros (70 millions d’euros selon l’agence allemande SID) pour faire venir en juin le Guinéen Naby Keita (RB Leipzig) sur les bords de la Mersey.
« Ce n’est pas la nationalité du joueur qui fixe les tarifs, mais son statut. Qu’il soit africain, européen ou sud-américain. Mohamed Salah, qui réalise une superbe saison avec Liverpool (co-meilleur buteur du championnat avec 24 buts, ex æquo avec Harry Kane) vaut plus de 100 millions d’euros aujourd’hui. Si on prend le cas de Bakambu, il a coûté cher à cause de la taxe de 100 %. S’il avait été transféré en Europe, l’opération aurait atteint 40 millions d’euros car ce n’est pas encore un joueur de très haut niveau, et il n’aurait pas gagné 18 millions par an », assure Romarin Billong.
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En Europe, seuls cinq ou six clubs – PSG, Real Madrid, FC Barcelone, Manchester City, Manchester United – sont capables de mettre au moins 100 millions d’euros sur la table pour acheter un joueur. « Le Bayern Munich ou Arsenal pourraient le faire, ajoute Romarin Billong. Mais philosophiquement, ils s’y refusent. »
« Arsenal a plutôt fait une bonne affaire en achetant Aubameyang, l’un des meilleurs attaquants d’Europe, estime Alain Gauci. Avec ses statistiques, il vaut à mon sens un peu plus. Mais je ne pense pas que les Africains, aujourd’hui, soient plus abordables. Pas pour les meilleurs joueurs. »
Aujourd’hui, si les salaires perçus par les Africains sont en phase avec leur statut, ils le doivent aussi à leurs agents. « Ils sont mieux entourés. C’est important d’avoir un bon agent, capable de bien négocier un contrat », insiste François Zahoui. Pourtant, certains clubs sont encore hésitants, notamment à cause de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui jusqu’à présent se déroulait en plein hiver et privait les clubs de leurs joueurs pendant quelques semaines. La réforme de la compétition, qui se jouera en juin et juillet 2019 au Cameroun, devrait vaincre les dernières réticences.