Emploi et handicap : en Allemagne, la « culture de l’inclusion » des handicapés est devenue une priorité
Emploi et handicap : en Allemagne, la « culture de l’inclusion » des handicapés est devenue une priorité
Par Cécile Boutelet (Berlin, correspondance)
Le manque croissant de personnel qualifié oblige les entreprises à s’adapter.
Une employée sourde de la firme Schmaus GmbH, à Hartmannsdorf (Saxe), porte des lunettes intelligentes lors de la préparation des commandes sur le site logistique de la société, en 2017. / HENDRIK SCHMIDT / DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP
Nous voyant nous approcher dangereusement de son établi, Anton Kultaew n’est pas très rassuré. Personne, à part son collègue le plus proche, ne pénètre d’habitude dans son espace de travail. Mais son chef est là, alors le jeune homme fait un effort de concentration pour poursuivre sa tâche : préparer une pièce de métal qui sera ensuite usinée par une machine. Anton Kultaew est handicapé mental léger. Depuis un an, il est employé comme aide technicien chez Bohrma, une entreprise qui produit des tuyaux et couronnes de forage pour les entreprises de travaux publics. Bohrma, implantée dans les environs de Fulda, en Hesse, compte 38 salariés, dont cinq handicapés. Parmi eux, deux ont été atteints de problèmes physiques sérieux au cours de leur carrière, trois ont été embauchés avec leur handicap, dont M. Kultaew.
Maria Erb, responsable DRH chez Bohrma
« Quand on a accueilli Anton, on a essayé de le faire travailler à différents postes, mais c’est là qu’il se sent le mieux. Il est un peu sensible, il a besoin d’un espace protégé », explique Florian Witzel, le directeur de l’usine, chargé d’organiser la production « en fonction des forces et des faiblesses de chacun ». M. Witzel n’utilise d’ailleurs pas souvent le mot « handicapé » pour qualifier les cinq travailleurs concernés dans son usine, pas plus qu’il ne s’étend sur les détails de leur empêchement. Tout ce qui compte, c’est de « trouver à la personne la bonne place » dans la production. « C’est dans la culture du groupe depuis longtemps. Nous pensons qu’il faut donner à chacun une chance d’être fier de son travail. On a simplement appris à travailler avec le handicap », explique Maria Erb, fille de Martin Himmelmann, le fondateur du groupe, et responsable des ressources humaines chez Bohrma.
« Sentiment de solidarité »
Bohrma a reçu en 2016 le prix de l’inclusion, décerné depuis quatre ans par des acteurs de l’économie, dont la fédération des employeurs BDA et l’agence fédérale pour l’emploi. Depuis quelques années, l’inclusion dans le travail des personnes handicapées est devenue une priorité en Allemagne. A cause du vieillissement de la population, de plus en plus de travailleurs ont des limitations physiques au travail. Par ailleurs, le faible taux de chômage et le manque grandissant de personnel qualifié obligent les entreprises à s’adapter pour conserver les travailleurs et à considérer leurs compétences. La législation contraint déjà les entreprises de plus de 20 salariés à consacrer 5 % des postes à des personnes en situation de handicap, sous peine d’amende compensatoire pouvant aller jusqu’à 300 euros par mois. Mais pour encourager les bonnes pratiques, les initiatives patronales se multiplient.
Avec plus de 15 % de travailleurs handicapés, Bohrma dépasse les quotas imposés. Elle reste une entreprise compétitive sur le marché. Ses carnets de commandes sont pleins, elle exporte dans le monde entier et verse des salaires élevés. La clé du succès ? L’aide de Perspektiva, une association lancée il y a dix-huit ans par un collectif local d’entreprises et d’établissements de formation pour favoriser l’intégration par le travail des personnes en difficulté psychologique et en situation de handicap, hors établissement spécialisé.
Joachim Pentz est un de ses permanents. « Nous accueillons d’abord les personnes fragilisées dans un centre. Quand c’est nécessaire, nous les entraînons à certaines compétences sociales comme la ponctualité ou l’endurance au travail. Et puis nous les plaçons dans les entreprises avec beaucoup de suivi pour rassurer les deux côtés. Il y a une phase de test, pour trouver la bonne place au travailleur, puis on augmente graduellement son temps de travail. A la fin, si cela fonctionne, il est embauché, au même tarif que les autres », explique-t-il.
Dans la région de Fulda, qui compte beaucoup de petites sociétés industrielles familiales comme Bohrma, il est désormais de bon ton pour une entreprise d’être membre de Perspektiva. Conséquence : les barrières psychologiques à l’embauche des handicapés tombent. Et les patrons observent les effets sur les autres salariés. « La plupart le disent : le sentiment de solidarité entre les travailleurs, de responsabilité, est plus fort. Tous sont davantage attachés à l’entreprise et plus motivés », souligne M. Pentz.
L’agence fédérale pour l’emploi aide les patrons dans cette démarche. Elle dispose d’un bureau spécialisé pour le placement des handicapés et l’accompagnement des entreprises. Et dans les firmes de taille importante, un référent spécial aux personnes handicapées participe à toutes les réunions du Betriebsrat, le conseil d’entreprise, organe de représentation des salariés dans le dialogue avec la direction. Une fois les barrières psychologiques levées, les subventions aplanissent souvent les dernières difficultés pour les employeurs. Outre les aides à l’aménagement des lieux de travail en cas de limitation physique, la loi prévoit des subventions, limitées à deux ans, pouvant atteindre 70 % de la rémunération d’un salarié handicapé.
Ce supplément est réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).