« Si on avait observé les trous noirs s’évaporer, Hawking aurait obtenu un Nobel »
« Si on avait observé les trous noirs s’évaporer, Hawking aurait obtenu un Nobel »
Le journaliste scientifique au « Monde », Pierre Barthélémy, a répondu aux questions des internautes sur l’astrophysicien, qui était avant tout un théoricien.
Stephen Hawking, dans son bureau de Cambridge, en 2007. / LEON NEAL / AFP
MC : Quelles sont les découvertes remarquables de S. Hawking ?
Pierre Barthélémy : Le travail le plus important de Stephen Hawking concerne les « trous noirs ». La théorie classique prévoyait qu’il s’agissait de corps tellement denses et massifs que rien, ni matière, ni lumière, ni information, ne pouvait s’en échapper. Hawking, en appliquant les propriétés de la mécanique quantique, a montré que ces objets peuvent « fuiter ». Cette « évaporation des trous noirs » porte d’ailleurs le nom de « rayonnement Hawking ».
Mais il faut bien garder à l’esprit que Stephen Hawking était avant tout un théoricien. Il ne faisait pas d’expériences de physique. Il reste encore à observer ce rayonnement dans la réalité… Si cette observation avait été faite de son vivant, Hawking aurait sans nul doute obtenu un Nobel.
John house : Peut-on lui attribuer un Nobel a titre posthume ?
Il n’a pas eu le Nobel parce que sa prédiction sur l’évaporation des trous noirs n’a pas été confirmée par l’observation, contrairement au boson de Higgs qui a été découvert au LHC (le plus gros accélérateur de particules du monde) en 2012, longtemps après avoir été prédit. Les théoriciens Peter Higgs et François Englert ont presque aussitôt eu le Nobel de physique, en 2013.
Un troisième physicien, Robert Brout, aurait dû partager le prix avec eux mais il était mort en 2011. Le Nobel n’est attribué qu’à des chercheurs vivants. Voilà pourquoi Stephen Hawking ne l’aura jamais (sauf si on change la règle…).
Luron : S’agit-il plus d’un vulgarisateur à la Reeves que d’un aspirant Nobel ?
Je ne dirais pas qu’il s’agissait d’un vulgarisateur à la Hubert Reeves. Son livre le plus célèbre, Une brève histoire du temps, a été vendu à des millions d’exemplaires mais les personnes l’ayant lu en entier sont beaucoup moins nombreuses, l’ouvrage étant assez ardu dans sa dernière partie.
Maxime : Serait-il possible d’avoir la liste de ses médailles et récompenses scientifiques ?
Il a notamment été nommé commandeur de l’Empire britannique en 1982. Il a aussi reçu, en 2006, la médaille Copley, la plus prestigieuse distinction scientifique décernée par la Royal Society de Londres.
Violoncelle86 : J’ai regardé à multiples reprises le film The Theory of Everything, relatant la vie de M. Hawking. A chaque fois, Eddie Redmayre (interprétant Stephen Hawking) m’émeut. Sans la maladie de Charcot, il aurait eu une belle vie...
Effectivement, le film (Une merveilleuse histoire du temps, en français) rendait bien le personnage qu’était Stephen Hawking, surtout dans ses jeunes années.
Et pour ce qui est de sa maladie, je me suis souvent demandé à quoi on pouvait attribuer cette exceptionnelle longévité. La SLA (ou maladie de Charcot) est une maladie cruelle qui touche les neurones moteurs, et la majorité des personnes qui en sont atteintes meurent dans les trois ans qui suivent le diagnostic. Cette maladie est décelée chez environ 2 500 personnes par an en France.
Dick F. : Qui peut désormais reprendre le titre de « scientifique contemporain le plus connu » ? Personnellement, je suis un grand fan de Sir Roger Penrose (The Road To Reality est un tour de force). Qui d’autre ?
Pour l’instant, difficile de voir qui peut reprendre ce « flambeau ». Il faut un cocktail gagnant de grande qualité scientifique, de vulgarisation et d’aura médiatique. Roger Penrose est certes très respecté dans le milieu scientifique mais loin d’être aussi connu. L’Américain Neil deGrasse Tyson pourrait éventuellement faire figure de successeur...
En 2017, Neil deGrasse Tyson a publié Petite excursion dans le cosmos, où il manie avec adresse les ficelles de la vulgarisation et embarque le lecteur dans la compréhension de l’Univers.
MM66 : Hawkins sera regretté et sa contribution scientifique est indéniable. Cependant, pourquoi nos chercheurs français n’ont-ils pas cet aura ?
Ce n’est pas forcément une question de génie. Le problème des chercheurs français, c’est d’abord qu’ils… sont français, et pas de culture anglophone. Or l’anglais est la langue et le vecteur de la science. La plupart des grandes revues scientifiques sont en anglais et éditées par des personnes de culture anglophone. Les ouvrages qui sortent en France sont rarement traduits en anglais.
Les chercheurs français sont reconnus à leur juste valeur dans le milieu, mais cela ne leur ouvre pas pour autant les portes de la notoriété, qui passe également souvent par de grands ouvrages de vulgarisation.
J’ajoute que souvent, la culture des chercheurs français ne les pousse pas trop à la mise en avant personnelle qui est assez mal vue dans le domaine de la recherche.
Alain : S’il n’avait pas été en chaise roulante, aurait-il eu la même aura ?
Stephen Hawking n’était pas dupe. Sur son site Internet, il écrivait : « Je suis certain que mon handicap a un rapport avec ma célébrité. » Il ajoutait qu’il ne prêtait d’ailleurs guère d’attention à la façon dont les médias le décrivaient : « Ils ont besoin d’un personnage à la Einstein auquel se référer. Mais, pour les journalistes, me comparer à Einstein est ridicule. Ils ne comprennent ni le travail d’Einstein ni le mien. » C’est un peu dur pour la presse mais cela montre qu’Hawking savait qu’il ne pouvait occuper la même place dans le panthéon scientifique que ses plus grands prédécesseurs.
Vanilys : Au sujet des chercheurs que l’on pourrait comparer à Stephen Hawking, je pense pour ma part à Hubert Reeves bien sûr, mais aussi à Etienne Klein et à Jean-Pierre Luminet, deux brillants scientifiques et vulgarisateurs.
Les trois chercheurs dont vous parlez sont effectivement d’excellents vulgarisateurs. Hubert Reeves a probablement une dimension plus internationale, mais ils sont essentiellement connus dans le monde francophone.
MorduDeSériezzz : Stephen Hawking a joué dans beaucoup de séries (« Big Bang Theory », « Les Simpson », etc.). Sait-on si ces séries vont lui rentre hommage avec des épisodes spéciaux ?
Il est encore trop tôt pour dire si des séries lui rendront cet hommage posthume. Mais il est vrai que Stephen Hawking était apparu dans « Les Simpson » et dans « Star Trek ». Il en était d’ailleurs assez fier. Dans un épisode de « Star Trek », il disputait une partie de poker avec Newton et Einstein. Il a aussi prêté sa voix, digitalisée, à la chanson « Keep talking » des Pink Floyd. On s’attend davantage à voir des personnages comme Einstein, Newton ou Galilée dans des fictions : il est assez rare que des chercheurs contemporains fassent une apparition dans ce type d’œuvres.
Pour écouter « Keep talking », des Pink Floyd, c’est ici :
Pink Floyd - COSMIC VOYAGE - Keep Talking
Durée : 06:13
Smithix : Pourriez-vous nous expliquer comment fonctionnait ce logiciel qui lui permettait de communiquer avec cette désormais célèbre voix robotique ? Est-il mis à la disposition d’autres personnes ayant perdu la faculté de parler ?
Stephen Hawking utilisait un synthétiseur vocal, une machine qui retranscrit oralement les mots écrits. Evidemment, il ne pouvait pas écrire ses messages à la main. Pour les rédiger, il faisait défiler des mots sur un écran et cliquait dessus. Au départ, le clic était activé par un pouce, mais quand il a perdu aussi l’usage de ce doigt, le seul muscle qu’il pouvait contrôler pour cliquer était un muscle de la joue. Il me semble qu’on a aussi amélioré le programme pour qu’il tente de prédire les mots suivants.
J’ai assisté une fois à une session de questions-réponses avec Stephen Hawking. La plupart des questions avaient été envoyées à l’avance et il avait eu le temps d’enregistrer les réponses. Il lui suffisait de déclencher son synthétiseur vocal. Mais il a aussi accepté de répondre en direct à une question posée par un journaliste. La rédaction de la réponse, qui ne devait pas dépasser deux phrases, a pris quelques longues minutes.
JK : Que sait-on de la façon dont Hawking travaillait au quotidien avec son handicap ?
Quand sa maladie est devenue trop handicapante, il n’a plus été question, pour Stephen Hawking, de travailler tout seul. Bien sûr, son cerveau conservait toutes ses capacités, mais il lui fallait de l’aide pour traduire ses idées et faire les calculs qui les accompagnaient. Il avait donc pris l’habitude de travailler avec de jeunes chercheurs (comme par exemple le Français Christophe Galfard).
Jiemel : Que penser de ses prévisions concernant l’avenir de l’humanité ?
Effectivement, Stephen Hawking, qui avait beaucoup écrit sur le destin de l’Univers, s’est aussi intéressé à celui de notre espèce. Il avait notamment exprimé ses craintes sur les progrès de l’intelligence artificielle (les machines risquant de surpasser les hommes dans un scénario un peu à la Terminator) ou sur le fait que la Terre allait devenir invivable. Difficile de juger la qualité de ces prévisions… Le mieux est de citer la phrase célèbre attribuée à un autre grand physicien, Niels Bohr : « Il est difficile de faire des prédictions, surtout quand elles concernent le futur… »
Rémi : Y-a-t-il des conférences ou interventions d’Hawking disponibles gratuitement sur Internet ?
Oui, il y a notamment cette conférence TED datant de 2008, sous-titrée en français, dans laquelle Stephen Hawking pose quelques grandes questions, telles que : « Comment l’univers a-t-il commencé ? », « Comment la vie a-t-elle vu le jour ? », « Sommes-nous seuls ? ».
Majuan : Pour Stephen Hawking, il y avait quoi avant le Big Bang?
Pour nous, à notre échelle temporelle humaine et dans notre façon d’aborder l’Histoire, il y a toujours un avant. C’est différent quand on s’intéresse à l’histoire du cosmos. Pour Stephen Hawking, le temps de notre Univers commence au big bang (la naissance de l’Univers tel que nous le connaissons). Le temps a un début. Et par définition, il ne peut y avoir d’avant. Tout comme quand vous allez au pôle Nord, vous ne pouvez pas aller plus au nord.
Rol : Quelle est sa position sur l’existence de Dieu et des formes de vie extraterrestres?
Je ne m’avancerais pas sur l’aspect Dieu, d’autant que le Dieu évoqué par Einstein ou Hawking n’a pas forcément la même signification que pour la plupart des gens.
Pour ce qui est de l’existence de formes de vie extraterrestres, il n’excluait pas – comme, j’imagine, l’immense majorité des scientifiques – que la vie ait pu apparaître ailleurs que sur Terre. Rappelons qu’en 2015, Stephen Hawking avait soutenu le programme Breakthrough Initiatives qui recouvre plusieurs projets concernant la détection d’une vie extraterrestre.
Caro : Il pensait que la Terre allait devenir dans le futur invivable pour les humains ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement, fin 2016, lors d’un débat, Stephen Hawking avait déclaré : « Je ne pense pas que nous survivrons 1000 ans de plus si nous ne nous échappons pas de notre fragile planète. » Un peu comme dans le film Interstellar, il encourageait donc les humains à chercher une nouvelle planète d’accueil et à développer le transport spatial.
Ce à quoi Hubert Reeves, dans un entretien que j’ai réalisé avec lui peu de temps après, a vivement rétorqué : « Ce qui est important, c’est d’arriver à apprendre à vivre sur la Terre, à y vivre en harmonie avec la nature. Si on n’apprend pas cela, que ferons-nous ? Nous transporterons nos problèmes ailleurs et cela recommencera. »
Jean : Dans la série des grands physiciens et vulgarisateurs, qui poursuivent le travail théorique de Hawking, il faut aussi citer Carlo Rovelli, spécialiste de la gravitation quantique (toujours la recherche du Graal...).
Vous avez raison de citer Carlo Rovelli. J’ajoute toutefois qu’aucun des chercheurs cités (Neil deGrasse Tyson, Hubert Reeves, Carlo Rovelli) n’atteint le niveau de reconnaissance mondiale d’un personnage comme Stephen Hawking.
Carlo Rovelli avait accordé un entretien au Monde en 2015 sur son rapport au temps, à retrouver ici :
Maxime : Quels sont ses livres de vulgarisation scientifique que vous pouvez recommander pour se plonger dans ses travaux et ses réflexions ?
En s’accrochant un peu (voire beaucoup), il faut tout de même lire Une brève histoire du temps, qui évoque le Big Bang, les notions d’espace et de temps telles que les voit la relativité générale, les « trous noirs » et toutes les questions un peu plus ardues sur la grande réunification de la physique.
Arriver à concilier la relativité générale d’Einstein, qui décrit l’infiniment grand (et la gravitation), et la mécanique quantique qui décrit l’infiniment petit (et les autres forces de la nature) est un des plus grands défis de la science depuis des décennies.
AG : Hawking a t-il publié d’autres livres de vulgarisation après Une brève histoire du temps qui permettent d’aller plus loin que son premier livre ?
On peut citer L’Univers dans une coquille de noix et Dernières nouvelles des trous noirs. Et rappeler aussi que Stephen Hawking avait, dans Sur les épaules des géants, présenté les travaux de ses grands prédécesseurs (Galilée, Copernic, Kepler, Newton, Einstein) et leurs textes les plus marquants.
Mari1009 : Nous est-il possible de consulter des revues scientifiques, sur l’astrophysique, dans lesquels les chercheurs publient leurs travaux et réflexions ?
Les revues scientifiques dites primaires, celles où les chercheurs publient leurs résultats, sont très difficiles à lire ou à trouver, très « pointues », en anglais, et très chères. Voilà pourquoi je recommande de commencer par des magazines spécialisés comme Ciel et Espace par exemple.
Toutefois, pour qui est vraiment passionné et en veut davantage, il y a moyen de trouver gratuitement les versions de travail des études en astrophysique sur le site de prépublications scientifiques arXiv.
Jpbrussels : Je voulais juste faire remarquer qu’il est décédé le même jour que la naissance d’Einstein.
C’est juste. Et comme il était né un 8 janvier, jour de la mort de Galilée, on dira que la boucle est bouclée...