« Ready Player One » : Spielberg renoue avec son âme d’enfant
« Ready Player One » : Spielberg renoue avec son âme d’enfant
Par Isabelle Regnier
Le réalisateur signe un film d’aventures à grand spectacle qui se déroule en 2045 entre les bidonvilles de la ville dépotoir de Columbus (Ohio) et les décors du paradis virtuel de L’Oasis.
Entre Cheval de guerre, Lincoln, Le Pont des espions et Pentagon Papers, la filmographie de Steven Spielberg a pris, au cours des années 2010, un tour très sérieux. Cette série de fresques historiques trempées dans des bains de couleurs désaturées pouvait laisser croire que l’inventeur du blockbuster, après trois décennies passées à enchanter la jeunesse du monde entier, avait tourné la page de l’entertainment pur jus. Loin de contredire cette idée, le ratage du Bon Gros Géant, adaptation emplâtrée du roman éponyme de Roald Dahl sortie en 2016, pouvait suggérer qu’il avait perdu contact avec son premier public.
Le tsunami Ready Player One remet brutalement les pendules à l’heure. Renouant avec les plaisirs du film d’aventures à très grand spectacle, déployant une inventivité atomique, totalement jubilatoire, le cinéaste américain s’apprête non seulement à sidérer les gamins du monde entier, mais à réveiller chez les adultes les enfants qu’ils ont jadis été.
Inspiré d’un roman à succès d’Ernest Cline, le film se déroule en 2045 entre les bidonvilles saturés d’échafaudages de la ville dépotoir qu’est devenue Columbus (Ohio) et les décors bariolés, perpétuellement mutants, du paradis virtuel de L’Oasis. Imaginé vingt ans plus tôt par le bien nommé James Halliday, ce monde qui se développe au gré de l’imagination des joueurs est devenu l’ultime refuge pour les habitants d’une planète surpeuplée, sururbanisée, surexploitée, où l’air est devenu irrespirable.
Dans l’enveloppe de son avatar Parzival qu’il endosse en allumant son casque de réalité virtuelle, le jeune Wade Watts (Tye Sheridan, remarqué il y a quelques années dans Tree of Life, de Terrence Malick, et dans Mud, de Jeff Nichols) passe le plus clair de son temps, obsédé par l’idée de trouver l’« œuf de Pâques » caché dans le système par son créateur. L’existence de cet œuf a été révélée dans une vidéo mise en ligne après sa mort, dans laquelle James Halliday annonçait qu’il ferait de celui qui le trouve son légataire universel, et énonçait trois énigmes qu’il fallait résoudre pour y arriver.
Le jeu est virtuel, mais l’enjeu tout ce qu’il y a de plus réel : 500 milliards de dollars (403 milliards d’euros), et le contrôle de l’entreprise qui gère l’Oasis. Autant dire que les jeunes geeks passionnés ne sont pas seuls dans la course. Des escouades de joueurs financés par des entreprises se démènent depuis des années dans ce monde parallèle pour résoudre la première énigme, se relançant ad nauseam dans une course de voitures défiant les lois de la gravité pour finir balayés par un gigantesque Donkey Kong.
Réel contaminé par le virtuel
Espérant y trouver la clé des énigmes, Wade Watts passe des heures dans la grande bibliothèque de l’Oasis où la mémoire d’Halliday est entièrement stockée sous forme de fichiers vidéo. Il a par ailleurs des amis – Art3mis, la guerrière sexy et solitaire, Aech, le forgeron, garagiste et bricoleur géant, Sho le ninja et Daïto le guerrier samouraï – qui l’aident à avancer, et leurs premiers succès les désignent comme cibles à abattre par la puissante multinationale IOI. Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à un avatar ? Cette question, qui empêche d’abord le groupe de se souder, se résoudra dans le monde réel où, traqué par les dirigeants de la firme, chacun se présentera sous son vrai visage.
De la réalité de Columbus au rêve de l’Oasis, l’action circule sans donner la moindre sensation de rupture, exprimant un état de la post-humanité où le virtuel a contaminé le réel. Cette fluidité, traduite à l’écran par une succession de décors qui s’autogénèrent les uns les autres à la vitesse de la pensée, est à l’œuvre depuis le scénario, dont la complexité est à peine perceptible : l’enquête dans la psyché de James Halliday, la guerre entre les jeunes héros et les dirigeants sans foi ni loi de la multinationale, la résolution des énigmes du jeu, la vie sociale dans l’Oasis, le roman d’apprentissage de Wade, son histoire d’amour avec la vraie jeune fille qui se cache derrière Art3mis… Ces multiples niveaux de récits s’imbriquent aussi organiquement que les flux d’information dans les tuyaux du Web.
Feu d’artifice citationnel
Dans le rôle du lubrifiant : la banque de pop culture qu’enferme la mémoire de James Halliday, à partir de laquelle il a élaboré son monde. Les références au cinéma, à la musique, aux jeux vidéo des années 1970 et 1980 saturent les plans d’une profusion anarchique de signes et donnent à ce récit futuriste la forme étrangement anachronique qui en fait le charme. Quand les personnages ne se battent pas contre des zombies dans l’hôtel de Shining, quand ils ne font pas la course sur un circuit de Mario Kart au son de Jump de Van Halen, ils lévitent au-dessus du vide sur le dancefloor de La Fièvre du samedi soir, font jaillir des Aliens de leur ventre pour rigoler, convertissent leur connaissance encyclopédique de la filmographie de John Hughes en arme de guerre psychologique… Ce feu d’artifice citationnel n’a rien de gratuit : il célèbre cette culture de l’entertainment dont Spielberg est incontestablement le parrain (Ernest Cline, l’auteur du livre, revendique l’influence que ses films ont eue sur lui), qui a fertilisé l’imaginaire de générations de jeunes gens en leur fournissant une langue commune et un fil précieux qui les rattache à l’enfance.
Le monde ravagé de Ready Player One rappelle celui de A.I. Intelligence artificielle. Face à ses jeunes héros qui apprennent ensemble à développer des sentiments, des liens de solidarité, un sens de la responsabilité, on pense parfois à David, l’enfant robot sensible que rejetaient des humains incapables d’aimer. Si séduisante que soit l’Oasis, elle n’est qu’une prison pour ceux qui cherchent à fuir leur condition humaine : c’est là le véritable héritage de James Halliday, à qui il aura fallu une vie entière pour comprendre qu’il était passé à côté de la sienne. Cette veine mélancolique dont la charge émotionnelle explose dans une scène finale magnifique traduit ce conflit jamais résolu chez le cinéaste entre un optimisme enfantin vis-à-vis du progrès technologique et une angoisse profonde quant à ses effets sur des adultes dangereusement irresponsables.
Ready Player One - Bande-Annonce Officielle (VF) - Steven Spielberg
Durée : 02:19
Film américain de Steven Spielberg. Avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe (2 h 20). Sur le Web : www.facebook.com/ReadyPlayerOneFr, readyplayeronemovie.com et www.warnerbros.com/ready-player-one