Un voyage en train avec Guy Roux, entraîneur mythique de l’AJ Auxerre
Un voyage en train avec Guy Roux, entraîneur mythique de l’AJ Auxerre
Par William Audureau
Arbitrage, corruption, OM et chiffre d’affaires des boucheries auxerroises les semaines de coupe d’Europe : Le Monde a évoqué les sujets importants avec l’homme au bonnet.
Guy Roux, entraîneur iconique de l’AJA Auxerre durant quarante ans. / W.A.
« N’allez pas trop vite, ma pile ne peut pas aller au-dessus de 110 ». Légèrement voûté devant sa valise dont dépasse un France Football, bonnet en laine vissé sur des joues rebondies, Guy Roux remonte le quai à son rythme. En 2001, l’entraîneur a subi un double pontage coranien, et vit depuis à battement de coeur programmé.
A ceux qui en doutaient, Guy Roux n’est pas à la retraite. Celui qui a entraîné l’AJA de 1961 à 2005 supervise l’association de l’AJA, notamment la partie amatrice. Tous les lundis, il quitte sa Bourgogne pour quelques interventions télévisées. C’est sur la banquette délavée d’un vieux tortillard de campagne, Auxerre-Paris via Laroche Migennes, que nous faisons par hasard sa rencontre.
Lorsque nous abordons notre voisin de banquette, lundi 19 mars, il sort d’une longue conversation téléphonique à propos des « Chinois » qui possèdent l’AJA - le club a été racheté à l’été 2016 par James Zhou, richissime embouteilleur proche du pouvoir. Avec lui, une remontée en Ligue 1 est possible, espère Guy Roux. Il n’entraîne plus, mais ne déroge pas à sa vieille obsession : calculer le classement final en avance. Qu’importe que deux joueurs se soient battus ensemble le weekend précédent, l’important est ailleurs : le maintien en Ligue 2 est d’ores et déjà assuré. Le public auxerrois a dû s’habituer, depuis six ans, au deuxième échelon national, loin des grandes soirées européennes qu’a connu l’entraîneur au bonnet.
Le pot-au-feu des soirs de coupe d’Europe
Guy Roux a toujours accordé une grande importance au douzième homme, le public, celui de l’Abbé-Deschamps. « Nos spectateurs, je les connais bien. Ce sont des gens simples, aller au stade, c’est un sacrifice financier. » Comment le sait-il ? Par les petits commerces. « Les semaines de coupe d’Europe, les boucheries de la ville ne vendaient pas les bons morceaux, la viande de Charolais, les pièces chères. Ce qui partait, c’était le pot-au-feu ou les abats ».
Le prix de la billetterie était fixé en fonction de l’affiche et de la date. « Les matchs contre les cadors comme Marseille, normalement on augmentait le tarif de 50 % si c’était dans les 20 premiers jours du mois. Mais si ça tombait une fin de mois, parfois, on maintenait le tarif normal ». Quant aux joueurs, ils avaient interdiction d’afficher leur richesse.
Djibril Cissé n’avait ainsi pas le droit d’utiliser sa Ferrari en ville. A la place, il venait au stade avec une petite citadine discrète. Une des nombreuses règles strictes qu’il imposait à ses poulains, comme le repas obligatoire le soir de match, « pour des raisons de diététique et de récupération », avec épouses et parents de préférence.
Lolo, Basile et Canto
L’attachement de Guy Roux au prix et à la valeur des choses a fait les choux gras des Guignols de l’Info dans les années 1990. L’ancien pion en école de médecine, devenu assureur pendant 34 ans, a toujours veillé au grain à la dépense. Ses recrues phares, c’était souvent des coups.
Il se rappelle ainsi avoir récupéré Laurent Blanc en 1995 sans rien débourser, alors que Saint-Etienne était en plein déboires financiers. Après une saison de galère, le Cévenol a même accepté de revoir ses émoluments à la baisse pour rejoindre le club bourguignon. « Son agent lui a dit : joue pour Guy Roux, dans six mois tu retrouves l’équipe de France. » Dont acte : il a été retenu pour l’Euro 1996.
Guy Roux parle de Laurent Blanc comme d’un modèle d’intelligence et de professionnalisme. Mais quand on l’interroge sur les meilleurs joueurs qu’il ait dirigés, deux autres noms reviennent : Basile Boli, « le meilleur défenseur que j’ai eu », futur champion d’Europe avec Marseille, et Eric Cantona, le sulfureux attaquant à l’égo si difficile à gérer. « Je la lui dois, dit-il en pointant sa légion d’honneur. Des fois je me demande ce que j’ai fait pour la mériter. Et puis je me rappelle que j’ai entraîné Cantona pendant sept ans. »
Les deux ont en commun d’avoir également joué pour le club qui faisait régner la terreur au début des années 1990, l’Olympique de Marseille. Guy Roux reste persuadé que l’arbitrage privilégiait le club de Bernard Tapie. « Je me souviens, une fois, l’arbitre a sifflé deux pénaltys alors qu’il n’y avait pas un auxerrois à dix mètres du ballon. Depuis mon banc, au deuxième, je criais « encore ! encore ! ». C’était ironique. »
« On s’est fait emmancher par l’UEFA »
Dans ces cas-là, il notait le nom de l’homme en noir dans un classeur, et il lui arrivait de le prendre le à partie à l’Abbé-Deschamps, le stade auxerrois. « Je me faisais prévenir, je venais l’accueillir personnellement. Je lui montrais ce que j’avais noté : là, tel match, vous avez sifflé pénalty, il n’y avait pas pénalty. Là, pas pénalty non plus. Alors aujourd’hui, je ne vous demande pas de me les rendre, mais je vous préviens, à la moindre touche mal attribuée, je mets le feu au stade. »
Des déboires arbitraux, Guy Roux en a connu. Le plus célèbre d’entre eux lui a coûté une place en finale de demi-finale de Ligue des Champions, en 1997. Ce jour-là, face au Borussia Dortmund, Lilian Laslandes marque le but de l’égalisation d’un splendide retourné, mais celui-ci est annulé pour jeu dangereux.« On s’est fait emmanchés, parce que l’UEFA ne voulait pas d’un petit club comme nous en finale », grommelle le technicien. Il assure avoir eu la preuve d’un pot-de-vin au moins une fois pour un match qui concernait Auxerre, mais refuse d’en dire plus.
L’homme aux cent matchs en coupe d’Europe, dont six quarts de finale, se souvient aussi des stratagèmes retors de la part de certains clubs adverses pour influencer sur le cours du match. Dans les pays de l’Est, il évoque les « jolies filles » qui patientaient devant la chambre de ses joueurs. Guy Roux faisait la ronde lui-même dans les couloirs de l’hôtel et exigeait dans les conditions d’accueil que les films pornographiques ne soient pas disponibles et les magnétoscopes débranchés.
Rendez-vous raté avec l’équipe de France
Plus célèbre entraîneur de France, Guy Roux n’aura jamais entraîné l’équipe nationale. L’occasion s’est pourtant présentée, par deux fois. La première en 1993, après la piteuse sortie en éliminatoires de la Coupe du monde. « C’est moi qui ait refusé. Dans notre métier, ça fonctionne par cycle, et là je sentais que j’avais une jeune génération de joueurs avec laquelle je pouvais faire un coup ». Celle des Lionel Charbonnier, Corentin Martins, Franck Silvestre ou encore Lilian Laslandes, qui le mènera au doublé championnat-coupe de France en 1996.
La seconde, c’est en 1998. Aimé Jacquet vient d’être sacré champion du monde mais refuse de continuer. Guy Roux est contacté par la FFF. Mais cette fois, c’est son club qui le retient : son contrat court encore, et son président, Jean-Claude Hamel, refuse de le lâcher. Guy Roux en garde sur le coup une grande amertume, qu’il finit par surmonter. « Sélectionneur, c’est deux semaines de travail tous les trois mois. Je me serais ennuyé. »
Aujourd’hui pourtant, le banc ne manque pas à Guy Roux. Le 18 octobre, il fêtera ses 80 ans. Mais ce soir-là, il est attendu sur le plateau de La Chaîne L’Equipe pour discuter des matchs du weekend. Il en a vu huit, dont l’emballant Nice-PSG et l’électrique OM-Lyon. « Je suis paré, ils peuvent me poser les questions qu’ils veulent, ils ne me prendront pas en défaut ».
Ses 45 tours sur sa tablette
Désormais, il vit à son rythme. Il prend des cours deux heures par semaine pour apprendre à utiliser la tablette qui lui a été offerte. La dernière fois, son professeur lui a montré comment écouter de la musique. « C’est formidable, je peux écouter mes 45 tours de Léo Ferré, Brassens, et Barbara sans avoir à les emporter », s’enthousiasme-t-il avec des yeux d’enfants - il a fréquenté Léo Ferré, qu’il a rencontré par hasard, et pour qui il fétait capable de rouler pendant 400 km dans la nuit pour aller l’écouter en concert. C’est d’ailleurs lui qui a fait découvrir l’artiste à Eric Cantona.
Il a ses rituels, comme son traditionnel en-cas du jeudi soir avec sa « bande de copains sûrs », ou leurs canons du samedi midi – y compris les weekend de matchs. Il s’intéresse à la géopolitique, lit « Le Figaro à l’hôtel, parce que c’est gratuit », rigole-t-il, Le Monde « quand il y a un grand événement », jongle entre L’Express, L’Obs et Le Point. Il se passionne en ce moment pour l’élection de Poutine et les relations entre Donald Tromp, comme il l’appelle, et la Corée du Nord, tout en sachant pertinemment qu’il restera éternellement étiqueté « football ».
A la descente du train, une femme en bombers noir se précipite vers lui pour lui demander un selfie. « C’est bien vous qui avez été champion de foot de rue, c’est ça ? Je vais envoyer la photo à mon petit cousin, il ne va pas en revenir. » Guy Roux ne corrige pas. Il sourit. C’est la troisième fois qu’un passager l’immortalise en une heure trente de train.