Des cris, des reproches, des échanges vifs allant jusqu’à l’agressivité verbale. Selon plusieurs témoins présents, la séance de concertation sur la réforme ferroviaire du vendredi 6 avril s’est tenue dans un climat de tension.

Face à la ministre des transports, Elisabeth Borne, flanquée de son cabinet, les quatre syndicats représentatifs de la SNCF – CGT-Cheminots, UNSA, SUD-Rail, CFDT – aux côtés desquels s’était glissé FO, étaient venus discuter pour la première fois de l’arrêt des recrutements au statut, en présence de représentants de l’organisation patronale des transports, l’Union du transport public et ferroviaire (UTP), et de la direction des ressources humaines du groupe ferroviaire.

« Le ton est monté, tout le monde se coupait la parole, et la ministre n’était pas en reste, raconte un syndicaliste. En plus, certains en ont profité pour régler leurs comptes avec l’UTP. Il est vrai que ce genre de réunions multilatérales encourage les postures radicales. Et puis, tout le monde commence à être fatigué. » Le round de concertation de vendredi se tenait après une longue réunion de presque sept heures qui, la veille, avait déjà mis les syndicalistes sur les nerfs.

Mais ces incidents sont surtout l’indice d’une crispation grandissante dans la mécanique de concertation-négociation mise en place par le gouvernement ; d’un état de discorde et de malentendu qui est en train de mener tout droit au blocage et, affirment les syndicats, à une nouvelle poussée de fièvre à la veille d’une nouvelle phase de grève, prévue les 8 et 9 avril sur le calendrier des arrêts de travail intermittents imaginés par les syndicats.

« Les cheminots vont augmenter la pression »

Le mouvement, pour le moment annoncé jusqu’au 28 juin, pourrait « aller au-delà » si le gouvernement persiste dans « la posture dans laquelle il est actuellement », a averti Laurent Brun, le secrétaire général de la CGT-Cheminots. « Nous allons tenir un marathon si le gouvernement nous [l’]impose », a-t-il martelé. « Les cheminots vont augmenter la pression », a embrayé Didier Aubert (CFDT), très remonté, annonçant dans certaines régions « quatre à cinq points de plus » de mobilisation pour les deux prochains jours de grève. « Le gouvernement a besoin d’une nouvelle démonstration », a-t-il estimé.

« C’est absolument inacceptable ce qui vient de se passer aujourd’hui », a estimé de son côté Eric Meyer, secrétaire fédéral de SUD-Rail, qui a dit avoir l’intention de « proposer lundi de durcir le mouvement ». Ce syndicat est le seul à envisager une grève reconductible chaque jour au lieu de celle en pointillé décidée par l’intersyndicale.

A quoi tient cet accroissement des tensions ? Probablement à un faisceau de causes. D’abord, le moment : le projet de loi a été adopté en commission à l’Assemblée nationale cette semaine et près de 200 amendements ont été déposés, dont une vingtaine émanant du gouvernement. La réforme entre donc dans une phase active puisqu’elle sera discutée en séance à partir du 9 avril et jusqu’au vote solennel, le 17 avril. C’est le bon timing pour faire entendre son désaccord.

Organisations syndicales exaspérées

Il y a, ensuite, la méthode, disent les syndicats. « On ne part jamais de mesures précises qui pourraient constituer une base de discussions, explique Fanny Arav, l’une des négociatrices de l'UNSA-Ferroviaire. La ministre ne se dévoile jamais vraiment tout en nous demandant de sortir notre jeu. Et il y a un problème fondamental de calendrier : Mme Borne nous renvoie en permanence à des négociations ultérieures de branche avec l’UTP pour remplacer le statut. On nous demande de renoncer dans l’avenir à ce qui fait l’identité cheminote pour quelque chose dont on ignore les contours. Il aurait mieux valu faire les choses dans l’autre sens. »

Dans ce contexte, la question de la fin programmée du statut de cheminot – qui comprend, entre autres, la garantie de l’emploi, les éléments de rémunération, la mobilité, les congés pour environ 90 % des effectifs de la SNCF – est d’autant plus sensible que l’ensemble des syndicats se demandent ce que l’on reproche à ce fameux statut. « Il n’y a pas eu de négociation sur le sujet, dénonce M. Brun. Nous ne savons même pas (…) quels sont les points qui posent problème au gouvernement dans le statut »

Exaspérées, les organisations syndicales ne craignent toutefois pas à ce stade d’être débordées par leur base. Elles notent quand même quelques signes de nervosité, comme cette rumeur de réquisitions qui a enflammé les réseaux sociaux des salariés de la SNCF, mercredi 4 avril, ou cette inquiétude sur une possible disparition des examens internes, auxquels les agents sont très attachés, qui faisait le buzz dans les conversations ces dernières heures.