DVD : « L’Enfer des zombies », une esthétique nouvelle de l’horreur
DVD : « L’Enfer des zombies », une esthétique nouvelle de l’horreur
Par Jean-François Rauger
Le film de Lucio Fulci ressort dans un splendide coffret DVD/Blu-ray riche en suppléments pertinents sur un genre sous-estimé.
On peut parfois être surpris de la façon dont ce qui, en son temps, paraissait relever d’une sous-culture populaire peu destinée à faire l’objet de commentaires subtils et d’une reconnaissance a posteriori, a pu être amené à connaître, un jour, le destin du traitement luxueux et savant que l’on réserve aux œuvres d’art. Comment qualifier autrement, en effet, l’édition par Artus Films de L’Enfer des zombies, de Lucio Fulci, dans un splendide coffret DVD/Blu-ray riche en suppléments de toutes sortes et accompagné d’un épais livret ? S’en étonner pourtant serait ne pas comprendre quelque chose de la nature du cinéma, souvent voué, même dans ses manifestations a priori les plus triviales, à un ennoblissement culturel mécanique et permanent. Est-il justifié en ce qui concerne ce cas précis ?
Morbidité spectaculaire
Le nom de Lucio Fulci ne disait alors pas grand-chose à de nombreux spectateurs avant qu’il ne se lance dans la fabrication d’une série de films horrifiques dont L’Enfer des zombies, réalisé en 1979, sera le premier volet. L’homme, pourtant, avait entamé une carrière au début des années 1960 et construit une filmographie sacrifiant, en apparence, aux exigences de la production de masse (comédies, westerns, thrillers). Certains titres se distinguaient déjà du tout-venant, par leur morbidité spectaculaire (Le Temps du massacre, Perversion Story, Le Venin de la peur, La Longue Nuit de l’exorcisme, L’Emmurée vivante). Fin des années 1970, l’heure est à la violence graphique débridée et le succès du Zombie, de George A. Romero, a entraîné, comme il se doit, une frénésie d’imitations en Italie. Fulci hérite d’un projet qui, à l’origine, ne lui était pas destiné et qui va pourtant changer une carrière alors déclinante. Il invente une esthétique nouvelle de l’horreur.
Si le livret qui accompagne le DVD/Blu-ray est surtout une mine d’érudition un peu superficielle sur le motif du zombie tel qu’il fut exploité par la série B transalpine, les interviews filmées du scénariste Dardano Sacchetti et de Lionel Grenier, spécialiste du cinéaste, reviennent en détail sur la genèse de l’œuvre, et notamment sur une origine se situant dans la bande dessinée d’après-guerre. Ils apportent également une foule d’informations sur la manière dont se produisaient, sans trop de scrupules, les films de genre dans l’Italie de cette époque.
L'enfer des Zombies - la sortie des tombes
Durée : 01:52
Violence « gore »
Loin du romantisme politique et pamphlétaire des œuvres de George A. Romero, L’Enfer des zombies se signale par une remarquable gradation dans la violence gore. Son apparente gratuité avait surpris et révulsé, en son temps, nombre de commentateurs, alors que c’est sans doute cette caractéristique même qui en a fait le prix. Le film d’aventures tropicales dont il reprend la structure (un groupe d’aventuriers se rend dans une île des Caraïbes infestée de morts vivants, produits de la pratique du vaudou) est soumis à un traitement radical. Egorgements par morsures, énucléations, chairs putréfiées, d’inventives scènes éprouvantes à regarder se succèdent ainsi ad nauseam dans une œuvre qui marque alors les esprits par sa brutalité. Mais la grande singularité du cinéma de Fulci aura été de détacher cette imagerie ultraviolente de tout souci de réalisme.
Ce n’est pas pour faire « plus vrai » que les yeux sont crevés et dévorés par les vers, que les tripes dégoulinent avant d’être avalées goulûment par des créatures putrescentes, que les cranes éclatent. La crudité graphique, les chairs déchirées, le sang déversé n’attestent pas de la vérité d’une situation rendue visible grâce aux effets spéciaux mais relèvent bien plutôt du souci de soumettre le spectateur à une expérience inédite, de le plonger dans un état de transe véritable. C’est par l’épiderme que l’on ressent la métaphysique à l’œuvre dans le cinéma de l’auteur de Frayeurs et de L’Au-delà dont les partis-pris barbares rapprocheraient ce qui n’est, en soi, qu’un cinéma de série du théâtre de la cruauté dont rêvait Antonin Artaud, de la manière dont celui-ci pouvait désirer « un appel à la cruauté et à la terreur […] dont l’ampleur sonderait notre vitalité intégrale. »
L'Enfer des zombies (1979) Bande-annonce française
Durée : 02:37
Film italien de Lucio Fulci (1979). Avec Richard Johnson, Ian McCulloch, Tisa Farrow (1 h 31). 1 coffret DVD/Blu-ray et livret, Artus Films.