Scandale à Malte après les premières révélations du « Projet Daphne »
Scandale à Malte après les premières révélations du « Projet Daphne »
Par Anne Michel, Jean-Baptiste Chastand
L’opposition de centre droit a demandé « au gouvernement de faire la vérité et d’arrêter d’endommager la réputation du pays ».
A La Valette, lors d’une manifestation à l’occasion des six mois de la mort de Daphne Caruana Galizia, le 16 avril. / MATTHEW MIRABELLI / AFP
Les premières révélations du réseau Forbidden Stories sur l’enquête sur le meurtre de Daphne Caruana Galizia, reprises par toute la presse locale, ont suscité une vive émotion à Malte. Mardi 17 avril, Le Monde et 17 autres médias européens et américains réunis dans le « Projet Daphne » visant à continuer les enquêtes de la journaliste maltaise assassinée le 16 octobre 2017, ont notamment révélé que la police maltaise écartait, à ce stade, la piste de commanditaires politiques, malgré plusieurs éléments troublants.
Or, deux témoins anonymes, rencontrés séparément, ont affirmé aux journalistes du « Projet Daphne » que le ministre de l’économie, Chris Cardona, avait été vu dans un bar du centre de l’île avec l’un des assassins présumés, quelques semaines après le meurtre. Mardi soir, ce ministre, qui avait porté plainte contre Daphne Caruana Galizia pour diffamation, a affirmé que ces révélations étaient « totalement spéculatoires, basées sur des rumeurs sans aucun fondement de vérité ».
Aux membres du « Projet Daphne », M. Cardona avait nié avoir jamais eu un « rendez-vous » avec les meurtriers arrêtés début décembre 2017. Mais il avait ajouté « ne pas se souvenir » s’il avait pu les rencontrer fortuitement.
« Culture de la peur et du silence »
Lors d’une séance particulièrement agitée au Parlement maltais, l’ensemble des députés d’opposition a fini par quitter l’enceinte de l’assemblée, faute de réponse du gouvernement sur ces révélations, en dénonçant une « culture de la peur et du silence ». Dans un communiqué, le Parti nationaliste (centre droit) a ensuite demandé « au gouvernement de faire la vérité et d’arrêter d’endommager la réputation du pays, avec son attitude [favorisant] l’impunité ». Daphne Caruana Galizia était proche du parti nationaliste, mais elle avait aussi, juste avant sa mort, fait plusieurs révélations sur l’actuel chef de file de l’opposition.
De leur côté, les avocats d’Alfred Degiorgio, l’un des trois assassins présumés, ont saisi la justice, mercredi 18 avril, pour demander que l’ordinateur de la journaliste soit remis à la justice. La famille a jusqu’ici refusé de le faire, arguant du risque que ses sources soient identifiées par les autorités. « Je brûlerais l’ordinateur devant la police [plutôt que de le lui remettre]. C’est l’ordinateur du premier ministre dont la police a besoin, pas de celui de ma mère », a posté sur Facebook le fils aîné de la journaliste, Matthew Caruana Galizia. Premier ministre depuis 2013, le travailliste Joseph Muscat était la principale cible des articles sur la corruption de la blogueuse.
Selon la défense, l’ordinateur serait toutefois « indispensable » parce qu’il « peut contenir ses informations sensibles sur une tierce partie responsable de ce meurtre ». Jusqu’ici, les trois assassins présumés ont gardé le silence pendant toutes leurs auditions, si ce n’est pour plaider non coupable. Les premières auditions publiques ont présenté des preuves accablantes contre ces trois hommes, connus pour leur proximité avec le crime organisé. Leurs téléphones ont notamment « borné » à plusieurs reprises, près du lieu de l’explosion, à quelques kilomètres du domicile de la journaliste maltaise, les jours précédant l’assassinat.
Le « Projet Daphne » a également révélé que les enquêteurs étaient convaincus que les trois malfrats avaient été prévenus en amont de leur arrestation. L’un d’entre eux était par ailleurs sur écoute, dans le cadre d’une autre enquête, mais les services de sécurité ont visiblement été incapables de détecter ce qu’il était en train de préparer.
Malgré ces éléments d’information, les enquêteurs maltais n’ont, jusqu’ici, pas exploré la piste d’un éventuel commanditaire politique. Aucun des responsables politiques sur laquelle la journaliste avait écrit n’a, pour l’instant, été invité à témoigner.