« Land » : un Iranien à l’heure indienne
« Land » : un Iranien à l’heure indienne
Par Jacques Mandelbaum
Dans une fiction documentée, le réalisateur Babak Jalali montre un peuple humilié aux Etats-Unis.
Après The Rider, de Chloé Zhao, film américain tourné par une cinéaste d’origine chinoise dans la réserve sioux du Dakota du Sud, arrive sur nos écrans Land, film de coproduction internationale, réalisé par Babak Jalali, un Iranien vivant à Londres, inspiré par la même réserve de Pine Ridge. Tourné avec nombre d’acteurs amérindiens non professionnels, Land est une fiction documentée dont l’esthétique rappelle un peu, transposée sous le climat sableux du western originel, la distanciation impavide et l’économie narrative du cinéma du Finlandais Aki Kaurismäki.
L’affaire tient en peu de mots, de part et d’autre de la frontière entre terre indienne et gouvernement américain. Ici, Wesley, alcoolique invétéré, son frère Raymond, sobre et fier, et leur mère Mary, survivent grâce aux travaux de la ferme. Au dehors, à la frontière, un magasin d’alcool installé à dessein (il est interdit de boire à l’intérieur de la réserve) pour tirer profit de l’addiction des « Natives » à cet élixir du désespoir. Plus loin, une caserne où l’on rapatrie le cadavre de Floyd, le frère des deux autres,mort en Afghanistan, tout en refusant à la famille la prime réservée aux combattants.
Errance immobile
Ces zones, attestant du cynisme américain à l’égard de la personne et de l’histoire indiennes, sont sujettes à conflits et dérapages. Les Indiens adossés au mur de Bob’s Liquor Store demandent aux Blancs de leur payer une bière. Des rixes se produisent. L’institution militaire dénie quant à elle le statut de combattant à Floyd, au motif qu’il serait mort séparé de son unité. La différence est plus que sensible, la famille touchera douze mille dollars au lieu de cent mille. Elle refuse, de son côté, que le drapeau des Etats-Unis recouvre le cercueil du défunt. Tout n’est pas nécessairement noir dans ces interstices. L’amitié entre Wesley et Rosie, adolescente curieuse du destin des « Natives », fait chaud au cœur, à l’instar de la belle bande musicale (Townes Van Zandt, Jozef van Wissem…) qui accompagne cette errance immobile.
Drôle de film donc, qui, par sa volonté délibérée de ne jamais rien nouer et de se tenir dans les quatre coudées d’un territoire désaffecté, balayé par le vent de l’Histoire, par sa lenteur composée, son cadre fixe, son attention à la révoltante misère humaine, sa volonté farouche de mettre en valeur la dignité d’un peuple humilié, s’est mis corps et biens à l’heure indienne. Humilité rare et grand mérite.
LAND - Bande annonce officielle - Au cinéma le 25 avril
Durée : 01:24
Film français, italien, mexicain et néerlandais de Babak Jalali. Avec Rod Rondeaux, Florence Klein, Wilma Pelly (1 h 50). Sur le Web : www.bacfilms.com/distribution/fr/films/land