Une maison intelligente et protectrice de ses données
Une maison intelligente et protectrice de ses données
Par Laetitia Van Eeckhout
Récompensée par le Prix de l’énergie « Le Monde »-Smart Cities, la start-up Ween a mis au point une solution d’intelligence artificielle qui permet d’anticiper en temps réel l’arrivée des occupants d’un lieu pour adapter le comportement de celui-ci à leurs attentes.
La machine à laver qui se lance toute seule au bon moment pour achever le cycle pile au moment où l’on rentre chez soi. La maison qui se met à la bonne température juste avant le retour de ses habitants, quelle que soit l’heure de la journée. La voiture électrique qui se recharge suffisamment et se préchauffe quelques instants avant que l’on monte dedans, et préserve ainsi son autonomie. Et tout cela sans qu’il soit nécessaire de programmer quoi que ce soit.
Jean-Laurent Schaub et Nathanaël Munier sont convaincus que d’ici peu tous nos lieux de vie se géreront en toute autonomie. « Les objets connectés vont envahir notre quotidien et on n’aura ni l’envie, ni le temps, ni les compétences pour les gérer », affirment ces deux ingénieurs, camarades de promotion aux Arts et Métiers, qui entendent prendre les devants de cette évolution. Au sein de leur entreprise, Ween, créée en 2014 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), ils ont mis au point une solution d’intelligence artificielle qui anticipe, en temps réel, l’arrivée des occupants d’un logement, et adapte ainsi ce dernier à leurs attentes.
La start-up, qui compte aujourd’hui une dizaine de personnes, a même conçu le premier thermostat connecté autonome embarquant cette technologie, qu’elle commercialise depuis le début de 2017. « Programmer un thermostat en fonction de ses heures de présence dans une maison permet déjà de réaliser 6 % à 7 % d’économie. Mais faire correspondre parfaitement les plages de chauffe avec l’occupation effective de la maison permet de réduire la facture d’au moins 20 % », fait valoir Jean-Laurent Schaub.
Le thermostat Ween ajuste la température du domicile aux allées et venues de ses habitants, sans programmation ni planification. Autonome, l’appareil apprend et intègre les habitudes de la famille et le comportement thermique du logement pour optimiser son chauffage. Il apprend seul, par exemple, le temps nécessaire au chauffage d’une pièce exposée au nord. Et pour parvenir à une parfaite corrélation entre temps de chauffage et occupation, il se fonde sur les données collectées par l’application installée dans les smartphones des habitants.
C’est cette application de géolocalisation qui prédit l’heure à laquelle l’un ou l’autre membre de la famille rentre chez lui, et permet au thermostat d’anticiper la mise en route du chauffage. L’intelligence du système consiste à faire la différence entre se trouver à dix minutes de chez soi au bureau le lundi matin, pour la journée donc, et se trouver à dix minutes de chez soi à la boulangerie le samedi matin, cette fois pour quelques minutes : l’heure du retour au domicile n’est pas la même. « Pas besoin d’activer l’application sur son smartphone pour que la solution fonctionne, précise Jean-Laurent Schaub. Ce faisant, en ouvrant l’application, il est possible de regarder ce qui se passe chez soi, de prendre la main à distance sur le chauffage. »
Respect de la vie privée dès la conception
Atout majeur de la solution Ween : elle garantit la protection des données personnelles, et en particulier la géolocalisation. Les garde-fous ont été intégrés dans sa conception (c’est ce qu’on appelle le privacy by design), et non ajoutés après coup dans les modalités et les conditions d’emploi. Il est impossible de transgresser la confidentialité des utilisateurs. « Notre solution est un outil de décision – et non d’aide à la décision – Google free : toutes les données personnelles restent dans le téléphone, elles n’en sortent jamais. Les algorithmes travaillent dans les appareils à domicile comme dans le smartphone, sans envoyer de données dans le cloud, insiste l’ingénieur. Le “privacy by design” oblige à avoir une approche frugale, c’est-à-dire à produire et stocker localement les données, et non les remonter dans le cloud, et faire les stricts calculs nécessaires. En outre, nous avons développé notre propre système de géolocalisation afin qu’il soit basse consommation et qu’il ne vide pas la batterie du téléphone en une demi-journée, contrairement aux systèmes de navigation comme Google Maps, Waze… »
Ironie du sort, Ween a initialement choisi de faire du privacy by design pour des raisons financières. « Le cloud, qui récupère des millions de données, est le terrain privilégié des hackeurs. Protéger un serveur qui traite nos données nous aurait coûté très cher. » Mais très vite, l’équipe a réalisé que la garantie de protection des données constitue un atout majeur de sa solution, notamment vis-à-vis des industriels. D’autant que le RGPD (Règlement général sur la protection des données) vient d’entrer en vigueur ce mois de mai. Ce texte européen impose en effet aux organisations européennes ou étrangères qui collectent des données de citoyens européens de mettre en œuvre un niveau de sécurité approprié.
Or, si elle a souhaité se doter d’une vitrine avec son thermostat, la start-up Ween cherche surtout à s’associer à des industriels qui développent des objets intelligents et souhaitent que leur produit fonctionne de façon autonome. Elle travaille d’ores et déjà avec des marques d’électroménager, des fabricants d’appareils de chauffage, des constructeurs automobiles. Et même des collectivités locales. L’application Ween pourrait en effet permettre d’adapter, au sein d’un lotissement, le niveau d’éclairage public au flux en temps réel de personnes circulant dans la rue. Voire d’ajuster la fréquence d’un tram, d’un bus ou d’un métro, au nombre d’usagers présents à proximité.