Cinéma d’animation : pourquoi les écoles françaises rayonnent à l’étranger
Cinéma d’animation : pourquoi les écoles françaises rayonnent à l’étranger
Par Isabelle Maradan
Formés dans les meilleures établissements d’un pays pionnier en la matière, les jeunes diplômés français sont immergés dans une culture valorisant l’art et l’animation.
Des étudiants à leurs tables à dessin, à l’Ecole de l’image des Gobelins, à Paris, en 2009. / MARTIN BUREAU / AFP
« Nous avons la chance d’avoir des écoles qui enseignent l’animation de la manière la plus professionnelle possible », témoigne Anna Korczynski, diplômée de l’école des Gobelins, à Paris. A 24 ans, fraîchement diplômée, cette Française a rejoint le campus californien de Pixar, en Californie. Pour un salaire annuel d’environ 40 000 euros, elle y a joué « le rôle de la caméra en dessinant », c’est-à-dire créé le story-board d’une des futures grosses productions dont la société d’animation, multi-oscarisée, a le secret.
Aux Etats-Unis, le cinéma d’animation atteint une autre dimension. « Les studios américains produisent des films qui plaisent au plus grand nombre. Avec un budget moyen de 140 millions d’euros par film, contre 7 millions en France », chiffre Moïra Marguin, responsable du département cinéma d’animation de l’école des Gobelins, une référence planétaire.
« Les Américains peuvent s’offrir les meilleurs talents de la terre », poursuit celle qui est aussi vice-présidente du Réseau des écoles françaises de cinéma d’animation (RECA), qui fédère vingt-cinq établissements français du secteur.
A l’instar de Pixar ou DreamWorks, les plus prestigieux studios internationaux, européens et français viennent recruter de jeunes diplômés dans les écoles de l’Hexagone connues et reconnues, telles que les Gobelins, à Paris, Supinfocom Rubika, à Valenciennes (Nord), ou MOPA (Motion Picture in Arles), à Arles (Bouches-du-Rhône), pour ne citer que celles qui figurent dans le top 10 du classement international des écoles d’animation (respectivement 2e, 3e et 6e), publié par le site anglophone Animation Career Review.
Rêve américain
Animateurs 3D, story-boarders ou spécialistes en effets spéciaux, les talents nécessaires sont même repérés en amont des diplômes, lors de séances de workshops dans ces écoles. « Mais l’appréciation de cette exportation des jeunes talents français est disproportionnée », tempère Moïra Marguin. Sur les vingt-cinq étudiants que comptait la promotion 2017 des Gobelins, seuls deux diplômés ont traversé l’Atlantique, dit-elle.
« Chez Pixar, il y avait des gens de partout et notamment beaucoup de Canadiens », confirme Anna Korczynski, désormais de retour en Europe, chez Cartoon Saloon, un studio irlandais qui compte trois films nominés aux Oscars.
Alors que le rêve américain ne dure généralement pas plus de dix-huit mois – un visa de travail de plus longue durée est très difficile à obtenir –, Gérald Blaise, 37 ans, installé à San Francisco (Californie), fait figure d’exception. Depuis 2015, il a notamment travaillé sur les films Star Wars et Transformers, comme lead modeler chez Lucas Film-Industrial Light and Magic (ILM), la compagnie pionnière des effets visuels créée par le réalisateur George Lucas dans les années 1970.
Ce diplômé d’ARTFX, à Montpellier, reconnue comme l’une des meilleures écoles européennes dans le monde des effets spéciaux, a fait ses armes à Paris, puis à Londres, en tant que modeler et concept artist, sur des films comme Harry Potter, Prometheus ou X-Men. ILM s’est intéressé à lui pour ses concepts et modèles de vaisseaux spatiaux, robots et véhicules. Son atout ? « La culture de la bande dessinée franco-belge et des mangas, très populaires en France, mais pas aux Etats-Unis ni au Royaume-Uni », juge le créateur français.
« En France, on baigne dans une culture visuelle »
Générale, artistique, littéraire ou de l’image, la culture revient sur toutes les lèvres, quand il s’agit de définir ce qui caractérise les diplômés français qui travaillent dans le secteur de l’animation. « En France, on baigne dans une culture visuelle, abonde Céline Carre, story-boarder chez The SPA Studios (Sergio Pablos Animation), à Madrid (Espagne). C’est un pays où la culture est encouragée et accessible. Nous avons accès à de nombreuses sources et à des styles graphiques différents avec, notamment, la BD d’auteurs, les romans graphiques et toute l’histoire de la peinture. De plus, il y a des écoles d’animation partout en France. »
Approchée un an avant son diplôme des Gobelins par le studio madrilène à l’origine du concept de Moi, moche et méchant, la franchise 3D animée, la jeune femme traduit actuellement le scénario de Klaus, un film sur l’origine du Père Noël.
Pour comprendre la place qu’occupe actuellement la France dans le paysage actuel du cinéma d’animation, formations incluses, Thierry Brionnet, directeur pédagogique d’Isart Digital (école de jeu vidéo et d’animation 3D en alternance, à Paris), invite à remonter le temps. « Dans les années 1980, la France était en pointe dans le développement des logiciels en lien avec le cinéma d’animation 3D, qui existe depuis la fin des années 1970, rappelle-t-il. Les studios français étaient alors plus importants que les studios étrangers. En parallèle, les écoles ont été précurseuses en France et nos formations sont désormais très recherchées à l’étranger, où elles sont plus courtes et plus spécialisées. »
« Un savoir-faire reconnu »
Responsable de section 3D à l’Ecole supérieure des métiers artistiques (Esma), à Toulouse, Yann Pannetier met en exergue la spécificité des formations françaises : « A la différence des Anglo-Saxons, nous ne formons pas des spécialistes, mais des généralistes de très haut niveau. » Régulièrement en quête de jeunes diplômés français, Hannah Price, recruteuse au studio d’animation Mill, à Londres, confirme que « la norme du travail des étudiants français est très élevée ». « Nous ne sommes pas les meilleurs, ni les seuls, mais nous avons un savoir-faire reconnu et très spécifique à la France », résume Moïra Marguin.
Ce savoir-faire français s’exporte désormais à l’étranger. Supinfocom Rubika a ouvert une école à Puné (Inde) et une à Montréal (Canada). L’Ecole Georges-Méliès, à Orly (Val-de-Marne), est présente à Sao Paulo (Brésil). Celle des Gobelins a fait un autre choix : l’ouverture d’une classe anglophone à Paris, dont la première promotion sera diplômée en 2018.
« La qualité des diplômés ne tient pas seulement à la qualité des contenus des programmes de formation, avance la responsable du département cinéma d’animation de l’école parisienne. Un Américain qui vient se former en France n’a pas besoin de parcourir 1 000 kilomètres, comme dans son pays, pour être dépaysé. Il se promène dans une encyclopédie vivante : c’est toute la culture française qui s’offre à lui. »
Une industrie florissante
Selon Moïra Marguin, la fameuse « French touch » s’exprime d’abord en France dans toute sa diversité culturelle, « elle est soutenue par la volonté du gouvernement de développer le marché du cinéma avec, notamment, la mise en place de quotas de programmation et de diffusion de films français ».
Dans une industrie du cinéma d’animation florissante, la France occupe d’ailleurs la troisième place mondiale derrière les Etats-Unis et le Japon. Elle peut même s’enorgueillir d’être en tête au niveau européen, avec 40 % de la production de l’Union européenne.
Une situation qui inspire une envolée lyrique à Charlie Bonifacio, superviseur en animation senior aux SPA Studios, à Madrid : « La France doit continuer à soutenir l’industrie et les artistes de l’animation dans tous les domaines, de l’enseignement et de la production. Cet amour, ce désir et cette passion pour l’art sont ce qui va continuer à produire un grand talent artistique français et donner à la “French touch” l’occasion de continuer à s’épanouir. »
Isabelle Maradan
- Le Monde publiera, dans son édition datée du 24 mai, un supplément de huit pages consacré aux écoles dans les secteurs de l’excellence française – la fameuse « french touch » –, qui permettent à leurs diplômés de partir étudier ou travailler à l’étranger. Ses articles sont progressivement mis en ligne sur cette page.
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