Le président de la FIFA, Gianni Infantino, le 11 mai. / JORGE ADORNO / REUTERS

Gianni Infantino est un homme pressé. Juste avant de s’envoler pour la Russie, pays hôte de la Coupe du monde (14 juin-15 juillet), le président suisse de la Fédération internationale de football (FIFA) s’est entretenu, à Zurich, au siège de l’instance, avec une demi-douzaine de journalistes afin de revenir sur son règne, entamé en février 2016, et ses projets. Pour Le Monde, invoquant un agenda trop chargé, M. Infantino a préféré prendre la « plume » pour répondre par écrit à nos questions.

En écho à la mise hors de cause par la justice suisse de l’ancien président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Michel Platini, le numéro 1 du foot mondial ne souhaite pas « commenter ni entrer dans le jeu des commentaires de commentaires ». « En tant que président de la FIFA, mon rôle est de respecter l’institution et ses commissions », dit l’ex-secrétaire général de l’UEFA, alors que M. Platini demande à la FIFA et à son comité d’éthique de lever sa suspension de quatre ans. Le ton est donné.

Quel bilan dressez-vous de votre action depuis plus de deux ans ?

Le monde est rempli de gens qui aiment se vanter de leurs propres succès – quelque chose que je trouve souvent suspect. Cela dit, je trouve le bilan très positif. Nous avons mis en place des réformes uniques dans le monde du sport, multiplié par quatre les investissements dans le développement du football, augmenté à 48 [à partir de l’édition 2026] le nombre d’équipes à la Coupe du monde, introduit l’arbitrage vidéo, organisé des sommets exécutifs du football dans le monde entier, lancé la réforme du système des transferts, créé une fondation en ligne avec nos obligations en matière de responsabilité sociale et pris plein d’autres initiatives.

Ce sont des mesures très concrètes qui font aujourd’hui de la FIFA une organisation complètement renouvelée, moderne et tournée vers l’avenir, mais aussi une organisation transparente, démocratique et inclusive. Les comptes sont aujourd’hui totalement clairs et professionnels. Nous avons ouvert la FIFA et en avons fait une institution où il y a beaucoup plus de débats.

Quel impact diplomatique attendez-vous de la Coupe du monde en Russie ?

La Coupe du monde n’est pas un événement politique et ne doit pas l’être. C’est tout simplement la fête du football. C’est aussi, sans doute, l’occasion pour beaucoup de gens, y compris dans les médias, de sortir de certains stéréotypes et de voir par eux-mêmes la réalité d’un pays qu’ils jugent souvent à distance.

Le Mondial demeure-t-il la « poule aux œufs d’or » de la FIFA ?

Le Mondial est bien sûr notre principale source de revenus. Les revenus générés par la plus grande compétition de football au monde permettent de soutenir le football de base dans les endroits qui en ont le plus besoin. Ce que produit le football retourne au football. Et pour ce qui est de cette Coupe du monde, les retombées financières sont bien au-dessus de ce qui était prévu ou prévisible, un élément de plus qui démontre la force de cette nouvelle FIFA.

La FIFA se porte très, très bien. Un an avant la fin du cycle financier de cette Coupe du monde (2015-2018), nous sommes déjà assurés de remplir – et de loin – nos objectifs, ce qui nous permet de présenter un budget ambitieux pour le prochain cycle (celui de la Coupe du monde 2022) avec une augmentation importante des fonds alloués au développement du football au sein de nos associations membres.

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Le Mondial 2018 est la première édition organisée par la FIFA depuis la crise morale et judiciaire de 2015. Qu’en attendez-vous en termes d’image ?

L’image de la FIFA n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a deux ans et demi. En ce qui concerne cette Coupe du monde, j’espère bien sûr et tout simplement que le jeu sera au centre des débats.

Dans quelle mesure le vote d’attribution du Mondial 2026 [le Maroc défie le trio nord-américain composé des Etats-Unis, du Canada et du Mexique], le 13 juin, lors du Congrès de Moscou, est-il crucial pour la FIFA ?

Le vote du 13 juin est tout simplement la dernière étape d’un processus transparent, détaillé et clairement établi depuis le début. Un processus qui a par ailleurs inclus toutes les recommandations du fameux rapport Garcia. La task force [d’évaluation technique] s’inscrit tout à fait dans ces nouveaux schémas.

Ne regrettez-vous pas la mise en place de cette task force, composée de membres de l’administration et de commissions dites indépendantes de la FIFA ?

Auparavant, le système était flou et a fait l’objet, si ma mémoire ne me trompe pas, de nombreuses critiques, suspicions, voire plus… Qui, mieux que l’administration de la FIFA, qui délivre l’événement et a donc l’expérience, le savoir-faire, peut évaluer techniquement un dossier ?

Et en plus il y a des membres indépendants qui la composent. Je vous rappelle que c’était le fonctionnement de l’UEFA sur l’attribution de l’Euro et tout le monde semblait trouver cela professionnel et clair. Ceci dit, il est à mon avis indispensable – et c’était d’ailleurs aussi l’avis unanime du Conseil – qu’un dossier de candidature soit évalué techniquement et que s’il ne remplit pas certains critères, il ne puisse pas être éligible pour l’organisation d’une Coupe du monde. C’était exactement la critique la plus importante faite dans le passé.

Sans ce critère, on pourrait se retrouver avec Andorre ou San Marino éligibles pour organiser une Coupe du monde. Cela montre l’absurdité de ceux qui critiquent, par intérêt, ce processus, et la nécessité d’avoir mis en place un processus détaillé, clair et transparent dès le début et pas en fonction des candidats.

Peut-on agir à la FIFA sans reproduire ou entretenir les travers clientélistes du système précédent ?

Je crois que certaines décisions de justice pénale, civile ou sportive prises concernant des membres du Conseil ou des commissions parlent d’elles-mêmes. Il n’y a rien à rajouter. C’est juste un chapitre triste dans l’histoire d’une belle organisation comme la FIFA. Il y a, ensuite, toujours des mécontents, qui étaient heureux de profiter d’un système et qui expriment leur frustration comme ils peuvent. Ce système est par contre fini. Tous ceux qui pensent encore pouvoir s’enrichir illégalement ou illicitement en profitant du football ou de la FIFA n’ont plus leur place au sein de nos institutions. Et ils le savent.

Dans quelle mesure le comité d’éthique est-il réellement indépendant aujourd’hui, comme il l’était prétendument par le passé ?

J’entends les commentaires faciles qui remettent en cause l’indépendance d’un tel organe, mais sérieusement, pensez-vous que l’on peut douter de la crédibilité de Vassilios Skouris par exemple, qui a présidé la Cour de justice européenne pendant plus de dix ans et qui est maintenant à la tête de notre commission d’éthique ? Et c’est exactement pareil pour les autres membres. La FIFA n’a jamais eu des personnes d’une telle qualité au sein de ses organes juridictionnels.

Si une personne, qui que ce soit, a commis une faute, elle devra être et elle sera sanctionnée. Le temps des magouilles est terminé.

Etes-vous agacé par ceux qui vous comparent à M. Blatter, tant dans la méthode de management que dans le rapport à l’éthique ?

Quant aux comparaisons avec M. Blatter, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Il faudrait peut-être juste vérifier qui le dit et pourquoi. En ce qui me concerne, je parle avec les faits. Et les faits démontrent clairement que la FIFA est aujourd’hui une organisation totalement différente par rapport au passé.

Le Mondial 2022 au Qatar est-il le principal défi de la FIFA dans les prochaines années en termes de crédibilité ?

La crédibilité de qui ? La décision a été prise en 2010, il y a huit ans. Depuis, il y a eu le rapport Garcia, qui ne démontre aucune preuve d’irrégularités dans la campagne du Qatar pour obtenir la Coupe du monde. Et nous l’avons d’ailleurs publié, ce fameux rapport qui nous était caché auparavant, en toute transparence [en juin 2017 après une fuite dans le journal allemand Bild].

En ce qui concerne l’avancée des travaux des stades et des infrastructures, tout indique que le Qatar sera prêt. Concernant la question des droits de l’homme, nous avons une coopération fructueuse avec les autorités. La loi Kafala [système qui entravait la liberté des travailleurs étrangers] a évolué, beaucoup de progrès ont été faits dans beaucoup de domaines et sans doute n’en serions-nous pas là sans la Coupe du monde. Il est toujours plus simple de stigmatiser et de se cacher derrière des slogans que d’essayer de comprendre et de discuter les conditions d’un progrès. Un vrai progrès est tangible, grâce au football et grâce à la Coupe du monde.

Serez-vous candidat à un nouveau mandat en juin 2019, au Congrès de Paris ?

Il ne me semble pas opportun ni respectueux pour tous les membres de la FIFA d’évoquer cela maintenant.