TV – « Etats africains, portiers de l’Europe »
TV – « Etats africains, portiers de l’Europe »
Par Pierre Lepidi
A voir aussi ce soir. Le documentaire de Jan M. Schäfer explique comment l’Union européenne subventionne des pays africains pour limiter les flux migratoires (sur Arte à 22 h 25).
« Le Sahara est devenu un cimetière à ciel ouvert », dit un commerçant nigérien interrogé dans le film. / ARTE
A coups de milliards d’euros, l’Union européenne (UE) ferme ses frontières aux migrants africains. Pour ne plus voir d’étrangers débarquer sur ses côtes, elle finance des gouvernements, y compris les moins fréquentables, pour arrêter tous ceux qui se lancent sur les routes de l’exil. Le documentaire Etats africains, portiers de l’Europe montre les conséquences de cette politique migratoire décidée à Bruxelles. Avec méthode et précision, il rappelle aussi l’essentiel : derrière les mesures qui visent à « endiguer les flux migratoires », ce sont des vies humaines et des destins qui se jouent.
Le film de Jan M. Schäfer, tourné dans une douzaine de pays, dont le Soudan et le Niger, explique comment une grande partie de l’aide de l’UE sert à obtenir un durcissement des contrôles aux frontières. Les résultats de cette politique sont tangibles – le nombre d’arrivées clandestines diminue en effet – mais à quel prix : pour éviter les checkpoints, les migrants sont contraints d’emprunter des chemins éloignés des routes historiques, et donc de tout commerce. La moindre panne est fatale. « Le Sahara est devenu un cimetière à ciel ouvert », dit un commerçant nigérien interrogé dans le film.
« Des accords opaques »
« Pendant des années, l’Europe a conditionné l’octroi des aides au développement au respect des droits de l’homme, de la démocratie, note l’universitaire Mirjam van Reisen, auteure d’un rapport sur les passeurs érythréens. Aujourd’hui, elle met cela de côté pour conclure des accords opaques, motivés uniquement par son propre intérêt. C’est une vision à court terme qui va lui exploser au visage. »
Parmi les pays bénéficiaires de ces subventions figurent le Soudan et l’Erythrée. Le premier est dirigé par Omar Al-Bachir, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, qui l’accuse de génocide et de crimes contre l’humanité commis pendant la guerre au Darfour. Quant au second, il est tenu d’une main de fer depuis vingt-cinq ans par Isaias Afwerki, qui en a fait l’une des pires dictatures. Ce choix de stopper les migrants sur le sol africain, à l’initiative de l’Espagne avant d’être adopté par l’UE, a fait une grande gagnante : l’industrie de la sécurité. Les ventes de drones et logiciels de reconnaissance faciale augmentent de 7 % par an.
Etats africains, portiers de l’Europe, de Jan M. Schäfer (All.-Bel., 2018, 50 min).