L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Pour démêler l’écheveau géopolitique qui s’est noué entre Syrie, Turquie et Irak, il faut lire les journaux, écouter les chercheurs. Les in­formations sont là, à portée de main, de ­connexion Internet. Il faut du temps et de la patience : on apprendra ce qui unit et sépare les organisations kurdes, politiques ou militaires, on refera le diagramme d’alliances qui emmènent bien au-delà des confins de la région, on se forgera peut-être une opinion sur les parties en conflit, sur les issues qu’il faut souhaiter.

Lire l’entretien avec Stéphane Breton  : « Je filme l’impression de la guerre, pas les combats »

Si l’on est décidé à se lancer dans cette entreprise, il ne faut pas compter sur Stéphane Breton pour y contribuer. Pourtant, l’ethnologue et cinéaste a passé plus de temps sur le terrain que bien des spécialistes. Ce qu’il en a ramené, un film bref, mystérieux et pourtant évident, d’une grande beauté, n’a rien à voir avec le journalisme, encore moins avec la pédagogie. Suivant plusieurs groupes de combattantes kurdes au nord de la Syrie, Stéphane Breton a capté une image de la guerre et des gens qui la font. L’image est inusitée, puisque ce sont ici des femmes qui vont au combat. Elle ne sera pas spectaculaire, puisque la caméra ne les suivra pas jusque dans l’action.

Heures de la vie monastique

Filles du feu est découpé en longues séquences, qui évoquent les heures de la vie monastique. La première montre deux combattantes cheminant dans un paysage désolé, sous un ciel lourd. Un petit chien noir et blanc leur tourne autour, se met à creuser le sol. L’une des ­femmes explique à sa camarade que l’animal tente de déterrer le cadavre d’un de leurs adversaires, sommairement inhumé par les troupes kurdes. Le phénomène se reproduira dans d’autres séquences, le calme – voire la sérénité d’un moment – étant lézardé par le signe des batailles passées et à venir.

On ne saura pas d’où viennent ces jeunes femmes coiffées de châles de couleur et armées d’AK-47, quelles familles elles ont quittées, à quelles amours elles ont renoncé. Au long de leurs heures de garde, on les entendra échanger des banalités sur la piètre qualité de leurs rations ou de leur équipement – ces jumelles qui permettent à peine d’entrevoir l’ennemi depuis un poste de garde juché au sommet d’une colline. Ces éléments fugaces suscitent des questions, provoquent des réflexions qui ne trouveront ni réponses ni confirmations : pour des alliés fidèles de la coalition contre Daech, les filles du feu sont bien mal armées, les jets qui passent au-dessus d’elles restent invisibles, comme la promesse sans cesse remise d’un secours.

Saisir la part d’enfance

La séquence finale montre une jeune commandante aux prises avec une troupe composée de femmes kurdes et d’hommes arabes. Il s’agit pour elle de constituer des groupes mixtes, équitablement armés. L’enjeu est important, la bataille (qui restera invisible) sera violente ; pourtant, Stéphane Breton saisit la part d’enfance, de jeu qui allège cet instant. On se croirait presque dans la cour de récréation d’une école, lors de la constitution d’équipes de chat perché.

Ce moment de légèreté (qui n’est pas le seul) rend encore plus perceptible la tragédie, la quasi-apocalypse, dont les filles du feu sont les actrices. Dans Kobané encore en ruine, une autre militante fait l’éloge funèbre de ses camarades morts au combat, une patrouille traverse un village qui semble être tombé sous la coupe d’une meute de chiens hurlants, qui ont probablement – comme le cabot du début – goûté à la chair humaine. ­Absorber ces images, c’est aussi comprendre.

"Filles du Feu" le film / la bande annonce
Durée : 01:48

Documentaire français de Stéphane Breton (1 h 20). Sur le Web : www.quarkprod.com/documentaires/#.Wx-apdUzaUk