Un an après l’incendie de la tour Grenfell de Londres, les leçons tardent à être tirées
Un an après l’incendie de la tour Grenfell de Londres, les leçons tardent à être tirées
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Soixante-douze personnes ont perdu la vie dans l’incendie du 14 juin 2017. Sur les 209 familles à reloger seules 82 ont trouvé un toit définitif.
Un an après la tragédie de Grenfell, la tour a été illuminée en vert. Le 13 juin. / PETER NICHOLLS / REUTERS
Veillée de 24 heures, lecture des noms des victimes, minute de silence à midi dans tout le pays. Le Royaume-Uni commémore jeudi 14 juin le triste anniversaire de l’incendie de la tour Grenfell, qui a causé la mort de 72 personnes dont 18 enfants dans le quartier de Kensington, à l’est de Londres. Totalement dévastée et calcinée, la tour a même pour l’occasion été recouverte de bâches blanches et coiffée de panneaux « Grenfell pour toujours dans nos cœurs ». L’illumination en vert du squelettique bâtiment de 24 étages, doit donner le signal, vendredi, d’une célébration « Green for Grenfell ». Dans toutes les écoles, les élèves sont invités à s’habiller de vert en signe « de soutien et d’unité ».
La première ministre Theresa May n’est pas la dernière à participer à cet impressionnant déploiement de repentance. « Je regretterai toujours la façon dont j’ai réagi initialement », a déclaré le 11 juin celle qui a lendemain du drame, avait glacé le pays en rendant visite aux pompiers, mais pas aux rescapés, des familles modestes, en majorité issues de l’immigration. Pourtant, un an après, peu de leçons ont été tirées d’un drame emblématique de certaines faiblesses de la société britannique : absence de droits des locataires, condescendance des gens bien nés – la municipalité conservatrice du très chic quartier de Kensington et Chelsea a ignoré les avertissements des résidents –, dérégulation qui a conduit à utiliser un revêtement de façade inflammable pour isoler la tour.
Sentiment d’injustice et de colère
Dans ce lourd contexte, l’enquête publique sur l’incendie, émouvant exercice de catharsis collectif et de recherche de la vérité, force l’admiration. Les auditions, qui doivent durer jusqu’à la fin octobre et inclure 519 personnes, ont commencé le 21 mai dans une salle de conférence du centre de Londres, par plusieurs journées d’hommage aux victimes et de témoignage des survivants. Evocation orale, vidéo, lecture, musique : les 72 disparus sont sortis de l’anonymat. Souvent présentés comme la lie de la terre, les locataires de la tour Grenfell sont apparus comme des individus avec des sourires, des passions, des talents, et des familles aux histoires riches.
Les proches des victimes de l’incendie se dirigent vers la tour Grenfell pour un hommage. Le 13 juin. / PETER NICHOLLS / REUTERS
La tragédie du 14 juin 2017 a été dépeinte par de terribles témoignages où s’est exprimé un sentiment d’injustice et de colère vis-à-vis des autorités. Celui d’Ahmed Elgwahry qui, impuissant à grimper dans la tour en flammes, a parlé par téléphone jusqu’à la fin à sa sœur Mariem et à sa mère Eslah piégés dans leur appartement. « J’ai entendu leur voix pour la dernière fois. Aujourd’hui, elles n’en ont plus, je suis leur voix », a-t-il réussi à articuler. Ou celui de Paulos Tekle, qui a perdu son fils de 5 ans, Isaac, parce que, pense-t-il, il a suivi les ordres des pompiers de rester dans son appartement au lieu de fuir.
« Piège mortel hautement combustible »
Après les survivants, l’enquête publique présidée par Martin Moore-Bick, un magistrat honoraire, a commencé à auditionner les acteurs du drame et ses possibles responsables. A partir d’un feu déclenché par un réfrigérateur au quatrième étage, l’incendie a grimpé 19 étages en douze minutes puis s’est propagé aux autres façades. Les fenêtres en PVC et leurs gaz toxiques, le revêtement de façade et le matériau d’isolation hautement inflammable « sont les principales causes de la tragédie », a témoigné un expert, contredit par le fabricant.
Au pied de la tour Grenfell des messages de condoléances. Le 13 juin. / PETER NICHOLLS / REUTERS
La municipalité responsable de ces logements sociaux ne les avait pas équipés de portes coupe-feu et les pompiers ont peiné à s’approvisionner en eau du fait d’installations vétustes. Ces derniers, mis en cause pour avoir confiné les habitants chez eux, ont accusé les responsables de la rénovation d’avoir transformé la tour en « un piège mortel hautement combustible ». Le manque de secours et d’aide publique aux rescapés traumatisés et démunis – pris en charge par les organisations communautaires – a été mis en cause. Sur 209 familles à reloger seules 82 ont trouvé un toit définitif.
En parallèle aux investigations publiques chargées d’établir les circonstances et de déterminer les responsabilités, Scotland Yard mène une enquête policière pour « homicide involontaire ». La municipalité de Kensington et Chelsea et la société gestionnaire de la tour sont visées. Mais jusqu’où les autorités remonteront-elles la chaîne des responsabilités ? Et combien de temps faudra-t-il pour tirer les leçons de la catastrophe ? Un an après, seuls dix des 159 immeubles HLM britanniques bardés du même revêtement de façade ont été modifiés. Un spécialiste en bâtiment cité par le Financial Times déplore une « apathie persistante » sur les normes de sécurité et une « énorme confusion » sur les matériaux autorisés ou non.