Le soleil n’a pas encore pointé son premier rayon, mais l’air est déjà tiède, épais, et annonce la journée à venir, la plus chaude de la semaine. Devant le parvis de la gare de l’Est, vendredi 27 juillet, la Kangoo grise siglée « Armée du salut » s’est garée dès 6 h 20 dans la rue quasi déserte. Quelques habitués s’approchent. C’est l’heure du petit déjeuner.

C’est en avril 2017 que l’association a lancé l’initiative. Elle est toujours seule à occuper ce créneau. « C’est un repas que les personnes sans-abri ont l’habitude de sauter, alors qu’il y a un vrai besoin », explique David Germain, responsable de la communication. Chaque jour, 150 petits déjeuners sont prêts à être distribués sur un parcours à plusieurs étapes, avec la gare comme départ et arrivée.

A chaque arrêt, on se presse autour du coffre grand ouvert et plein à craquer : café, thé, chocolat chaud, gâteaux en tout genre, et surtout de l’eau, en quantité, pour faire face aux températures caniculaires, qui devraient avoisiner ce jour-là les 37 °C. « On a augmenté le stock aujourd’hui, affirme Joël, 47 ans, salarié depuis dix ans à l’Armée du salut. J’ai mis trois packs au lieu de deux habituellement. » Au total, ce sont 72 bouteilles d’eau qui seront données dans la rue. C’est peu, si l’on en croit l’ampleur de la demande. « Mais on ne peut pas trop en prendre, justifie Joël, sinon on doit enlever autre chose. »

Debrouillardise

« La chaleur, c’est mortel », reconnaît Mary, 70 ans, appuyée sur le manche de son cabas à roulettes. Elle y range précieusement la bouteille de 33 cl qu’on vient de lui donner. Ces derniers jours plus que d’ordinaire, boire et se rafraîchir est devenu la priorité pour les personnes sans-abri, qui sont les plus exposées à la chaleur, et donc aux risques. Pour Mary et les autres, c’est la débrouillardise qui prime. « Je peux boire aux fontaines, dans les parcs ou ailleurs, explique René, 60 ans. Il y a aussi les douches et toilettes publiques. » D’autres demandent des verres d’eau dans les bars et les restaurants, avec plus ou moins de succès. « Parfois ils refusent, pour pas qu’on dérange les clients », dit un homme d’une trentaine d’années.

La ville de Paris dispose de nombreuses fontaines, et a multiplié les points de rafraîchissement depuis le début de l’été, si bien qu’il y a « toujours moyen de trouver de l’eau », comme le fait remarquer Zina, installée au pied des marches de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul. Encore faut-il savoir où elle se trouve. « On manque d’information, déplore René. Souvent, on doit chercher nous-mêmes, alors que ce serait plus simple s’il y avait des panneaux d’affichage dans la ville. » « Hier, on leur a distribué les cartes des fontaines de Paris, mises à disposition par la Mairie », précise Joël.

A la fin de la matinée, le stock de bouteilles est déjà épuisé. Cent quatre-vingts personnes se sont présentées ce jour-là. « C’est vingt de plus que ces deux derniers jours », constate David Germain. Le coffre se referme. Une poignée de main, un sourire, et une promesse : celle de revenir demain matin, avec plus d’eau cette fois.