Enquête sur la mort suspecte de deux Belges en Afrique du Sud, en lien avec le génocide rwandais
Enquête sur la mort suspecte de deux Belges en Afrique du Sud, en lien avec le génocide rwandais
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, correspondant)
L’une des deux victimes, un ancien avocat, enquêtait sur le décès de la première, fils d’un journaliste hutu condamné pour sa participation au génocide de 1994.
Le palais de justice de Bruxelles, en Belgique. / M0tty / Creative Commons
Le parquet fédéral belge, compétent pour la grande criminalité et le terrorisme, a ouvert récemment un dossier sur les décès, jugés suspects, de deux juristes en Afrique du Sud. Ils étaient liés, de près ou de loin, aux Hutu qui ont fui le Rwanda. Certains de leurs proches mettent directement en cause les services secrets du régime de Kigali.
Pieter-Jan Staelens, 36 ans, un ancien avocat de Bruges, a été retrouvé mort le long d’une route dans la région de Hermanus, près du Cap, le 29 juillet. Sa voiture était en feu. Des témoins auraient déclaré avoir entendu des coups de feu, mais les enquêteurs n’ont trouvé aucune trace de balles et n’excluent pas la thèse d’un accident.
L’homme était en relation avec un autre Belge, d’origine rwandaise : Thomas Ngeze, 27 ans. Il enquêtait semble-t-il sur le décès de ce jeune homme, retrouvé pendu, en juin, dans sa chambre d’hôtel à Johannesburg. La famille de M. Ngeze, un juriste spécialisé dans le droit international, s’était installée en Afrique du Sud après ses études à Gand, en Belgique. L’avocat de son père, Hassan Ngeze, était le père de M. Staelens.
Hassan Ngeze a été condamné à trente-cinq ans de détention pour sa participation au génocide rwandais. En juin, Kigali a exprimé sa colère quant à une possible libération de cet ancien dirigeant du journal Kangura, l’un des principaux « médias de la haine » avant le génocide. Le juge américain Theodor Meron, président du Mécanisme des Nations unies pour les tribunaux pénaux internationaux, a libéré, depuis 2012, huit génocidaires rwandais avant le terme de leur peine et envisagerait une telle mesure pour M. Ngeze et deux autres personnes.
« Je veux connaître la vérité »
Thomas Ngeze aurait, selon des sources belges, rencontré récemment des diplomates rwandais. Après ce rendez-vous, il aurait « paniqué » et confié à des proches qu’il craignait pour sa vie, selon le quotidien belge De Standaard. Sa famille affirme que des agents rwandais voulaient l’intimider et punir son père.
Selon d’autres sources belges, M. Staelens aurait rassemblé des preuves sur les commanditaires présumés de ce qu’elles présentent comme un assassinat. Son père conteste toutefois cette version, indiquant que son fils avait certes contacté la police sud-africaine, mais qu’il ne disposait pas de renseignement précis sur le rôle éventuel du Rwanda. « Je veux connaître la vérité, mais je ne suis pas certain que cela arrivera un jour », a expliqué l’avocat.
Le parquet fédéral belge est en contact avec la justice sud-africaine. A ce stade, les autorités de Pretoria jugeraient en tout cas « suspectes » les circonstances de la mort de M. Ngeze. En 2014, un opposant au régime rwandais, Patrick Karegeya, avait été retrouvé étranglé dans un hôtel de Johannesburg, ce qui avait provoqué une crise diplomatique entre l’Afrique du Sud et le Rwanda.
La relation complexe entre Bruxelles et Kigali est, elle, rendue un peu plus difficile encore par le cas de Bernard Ntuyahaga. Cet ancien officier rwandais a été condamné en 2007, à Bruxelles, à vingt ans de détention pour sa participation à la mort de dix parachutistes belges, assassinés en 1994 à Kigali alors qu’ils servaient pour une mission des Nations unies. Libéré et en attente d’une expulsion – on ignore si c’est vers le Rwanda –, l’ancien militaire a demandé l’asile en Belgique, à la fureur des familles des militaires belges. « Si je rentre au Rwanda, je suis un homme mort », expliquait-il, vendredi 24 août, au quotidien belge La Dernière Heure.