Des gendarmes camerounais dans les rues de Buéa, capitale de la région anglophone en crise du Sud-Ouest, le 3 octobre 2018. / MARCO LONGARI / AFP

Entreprises à l’arrêt et chômage en hausse dans les régions anglophones, sous-développement chronique dans le nord attaqué par Boko Haram : au Cameroun, qui élira son président dimanche 7 octobre, les différentes crises ont frappé de plein fouet l’économie nationale.

Environ 45 % du cacao produit dans le pays l’est dans le Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones en crise, et 75 % du café arabica camerounais vient de l’autre, le Nord-Ouest, selon l’organisation nationale du patronat, le Gicam. Celle-ci estime, dans un rapport diffusé mi-septembre, que les recettes d’exportation de ces deux denrées ont chuté de 20 % à cause du conflit frappant la zone anglophone, où vit un cinquième de la population totale. La production de cacao et de café pâtit de « l’insécurité et des déplacements de populations [qui] sont préjudiciables aux activités agricoles et à l’entretien des plantations ».

La crise anglophone au Cameroun en trois questions
Durée : 03:22

Les combats sont devenus quotidiens dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où, depuis fin 2017, les séparatistes anglophones se réclamant d’un Etat indépendant ont pris les armes contre Yaoundé. Ils ciblent particulièrement les symboles de l’Etat, mais aussi les entreprises francophones et étrangères qu’ils considèrent comme des soutiens du pouvoir central. Ils ont plusieurs fois appelé à les boycotter. Au moins une dizaine de chefs d’entreprise et de salariés travaillant dans ces régions ont été enlevés depuis fin 2017. D’autres ont été tués.

« Une ville sans vie »

Conséquence, les entreprises présentes dans la zone ont pour la plupart mis la clé sous la porte. Selon l’ONG Human is Right, installée à Buéa, la capitale régionale du Sud-Ouest, la crise a entraîné une hausse de 70 % du taux de chômage dans l’agriculture dans cette région.

La Cameroon Development Corporation (CDC, groupe public), fleuron de l’économie nationale et l’un des principaux employeurs du pays, a ainsi dû ralentir son activité en zone anglophone : seuls sept de ses vingt-neuf sites de production sont encore totalement opérationnels, selon le Gicam. Exactions sur ses employés, usines vandalisées, maisons de salariés incendiées, véhicules volés… Le patronat camerounais craint que cette crise ne soit « la goutte d’eau de trop » pour la CDC et d’autres entreprises tournées vers l’exportation, qui subissent déjà les effets du contexte économique national.

« Tout est fermé, les écoles, les entreprises. C’est une ville sans vie », explique à l’AFP un habitant de Buéa, alors que la ville était auparavant l’un des poumons économiques de la région et du pays. L’armée et les séparatistes s’y sont affrontés début septembre, dans les faubourgs. Des coups de feu y sont entendus chaque jour jusqu’aux portes de l’université, principal centre d’enseignement supérieur du Cameroun anglophone. « Cette crise va avoir des conséquences sur le long terme », se désole un travailleur humanitaire.

Dans son rapport, le Gicam note que la couverture réseau est « fortement perturbée » dans tout le Cameroun anglophone : si les pylônes n’ont pas été détruits par les séparatistes, il est impossible d’y accéder pour les entretenir. Dans une zone déjà très rurale, il n’y « a plus d’accès au monde extérieur », note l’habitant de Buéa. « C’est dramatique pour l’économie et pour l’avenir des populations : elles sont déplacées, les entreprises sont fermées, les combats sont là, comment voir le futur ? »

Dans le Sud-Ouest, 246 000 personnes ont fui leur domicile et 25 000 ont quitté le Cameroun pour le Nigeria, selon l’ONU. Aucun bilan statistique n’est disponible pour le Nord-Ouest.

Retard de développement

Dans l’Extrême-Nord, cible depuis 2014 des assauts répétés du groupe djihadiste nigérian Boko Haram, l’impact économique est différent : au contraire des zones anglophones historiquement dynamiques et créatrices d’emplois, la région se caractérise par un retard de développement criant.

« Avant l’arrivée de Boko Haram, l’Extrême-Nord était déjà la région la plus pauvre du Cameroun », estime le centre d’analyse International Crisis Group (ICG). « Le conflit a aggravé cette situation. »

Pour un haut gradé de l’appareil sécuritaire à Mora, non loin de la frontière avec le Nigeria, il « va falloir reconstruire, c’est le grand chantier désormais ». A Maroua, la capitale régionale, samedi 29 septembre, le président Paul Biya, candidat à un septième mandat, a réaffirmé cette volonté de reconstruire en promettant de grands projets pour la région, notamment la construction d’une ligne de chemin de fer vers le Tchad, l’exploration pétrolière, ou encore le retour du tourisme qui s’était évanoui avec l’arrivée des djihadistes de Boko Haram.