Enquête ouverte après la disparition du patron chinois d’Interpol
Enquête ouverte après la disparition du patron chinois d’Interpol
Par Elise Vincent, Simon Piel, Harold Thibault
Meng Hongwei, président de l’organisation internationale de la coopération policière, dont le siège est basé à Lyon, n’a plus donné signe de vie depuis un séjour en Chine, fin septembre.
Meng Hongwei, président d’Interpol, le 4 juillet 2017 à Singapour. / ROSLAN RAHMAN / AFP
Une enquête pour disparition a été ouverte, ce vendredi 5 octobre, par le parquet de Lyon et confiée à la division criminelle de la direction interrégionale de la police judiciaire de Lyon, suite à la volatilisation du président d’Interpol fin septembre, a confirmé au Monde une source judiciaire. Meng Hongwei, président de l’organisation internationale de la coopération policière, dont le siège est basé à Lyon, n’a plus donné signe de vie depuis un séjour en Chine, à la fin du mois dernier.
D’après Europe 1, qui a révélé l’information, c’est son épouse qui a signalé sa disparition aux autorités françaises. Mais selon nos informations, il ne s’agirait pas d’une disparition classique pour motif criminel : la piste aujourd’hui privilégiée par les enquêteurs est celle d’une mise au secret temporaire de M. Meng par les services de Pékin, dans le cadre de règlements de comptes internes au pouvoir chinois.
Ce n’est pas la première fois que des personnalités de haut rang de la diaspora chinoise, en France ou dans d’autres pays, disparaissent ainsi. Le procédé est souvent le même. Les personnes sont arrêtées pendant un séjour en Chine dans le cadre de leurs affaires professionnelles ou personnelles. Elles sont ensuite privées de liberté et interrogées pendant des périodes qui peuvent s’étendre sur des mois. Avant d’être finalement relâchées de manière imprévisible, mais avec des dégâts sur leur carrière difficiles à réparer, ou être accusées de corruption, dans un communiqué d’une seule ligne. L’homme d’affaires Mike Poon, qui a investi dans l’aéroport de Toulouse, avait ainsi disparu des radars pendant six mois en 2015.
Les « mouches » et les « tigres »
Depuis deux ans, les cas de ce genre se sont multipliés en France. A l’été 2017, c’est l’un des plus gros magnats de la diaspora, basé à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), qui en a fait les frais. En 2011, cette personnalité au parcours de « self made man » sulfureux, avait fait parler de lui en effectuant d’importants investissements sur le port du Havre. Tenu au secret pendant plusieurs semaines en Chine, il avait finalement réapparu à l’automne 2017, très amaigri. D’après le récit qu’il en avait fait au Monde, il avait été mis en cause dans le cadre d’une enquête pour malversations financières. Mais l’enquête « administrative » qu’il avait subie n’avait pas abouti. Il en était ressorti blanchi, selon lui.
La même chose est arrivée au président d’une des plus puissantes associations de commerçants chinois en France, un homme un temps considéré par la direction générale de la sécurité intérieure comme un « agent » chinois en France. Son cas avait fait polémique, en avril 2017, lorsqu’il s’était retrouvé dans la délégation accompagnant Emmanuel Macron, alors en pleine campagne présidentielle, pour faire l’intermédiaire avec la famille de Liu Shaoyo, un ressortissant chinois de 56 ans, tué par la police lors d’une intervention qui avait mal tourné, et avait déclenché d’importantes manifestations contre la police, à Paris.
Ce même procédé s’applique en Chine aux plus hautes personnalités politiques dans le cadre de luttes de factions, le président chinois, Xi Jinping, ayant promis de n’épargner ni les « mouches », fonctionnaires de bas étage, ni les « tigres », officiels de haut rang, dans sa lutte contre la corruption.
Traque de la corruption
Mais le cas de M. Meng est une première au sein de grandes institutions internationales. Sa nomination à la tête d’Interpol, fin 2016, en remplacement de l’actuelle patronne de la direction centrale de la police judiciaire, Mireille Ballestrazzi, avait été vivement critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International. Elles avaient souligné le risque de confier un tel rôle à un haut officiel d’un pays connu pour son absence de garantie des droits ou de séparation des pouvoirs judiciaires et politiques.
Les Etats membres avaient toutefois considéré qu’il était difficile de refuser à un pays de l’importance de la Chine un haut poste dans une grande institution internationale, d’autant que la République populaire accepte un rôle plus modeste au sein d’autres grandes organisations, dont l’ONU. Pékin, de son côté, y voyait un atout et une légitimation de la campagne lancée par le président Xi Jinping pour traquer à l’étranger officiels et hommes d’affaires chinois corrompus.
Avant ce poste, M. Meng était déjà à un très haut niveau de responsabilité en Chine. Il a fait son ascension au sein de la hiérarchie sous Zhou Yongkang, qui, sous le mandat du précédent président chinois s’était imposé comme le « tsar » de l’appareil sécuritaire. Et il est nommé vice-ministre de la sécurité publique, la police, en 2004, moins de deux ans après que M. Zhou a pris la tête de ce ministère.
« Contre-productif pour la Chine »
Or M.Zhousera l’une des plus importantes victimes de la campagne contre la corruption, qui est aussi une lutte pour imposer ses hommes, lancée par M. Xi après son arrivée au pouvoir. En 2015, après de multiples arrestations dans son entourage, M. Zhou était condamné à perpétuité.
Mais Meng Hongwei, en un apparent signe qu’il avait su se distancier et disposait d’autres appuis politiques, était, lui, nommé à la tête d’Interpol l’année suivante. Est-il aujourd’hui rattrapé, trois ans après, par la nomination, à des postes clés, de partisans ultra-loyaux de l’actuel président ? En Chine, un tel processus d’arrestations et de nominations peut s’étaler sur tout un mandat. En novembre 2017, un nouvel officiel, Zhao Kezhi, réputé très proche du président Xi, a ainsi été nommé ministre de la sécurité publique et secrétaire du PCC au sein de ce même ministère. En juin 2018, ce même homme a ensuite hérité du poste de sous-secrétaire de la très puissante commission des affaires politiques et légales.
« C’est contradictoire et contre-productif pour la Chine, à l’heure où elle essaye de projeter une image adoucie à l’étranger, d’adopter des mesures qui vont sembler drastiques contre un officiel pourtant nommé à la tête d’une institution internationale sous Xi Jinping. Pour en venir là, la question de sa loyauté politique doit être suffisamment grave, car le seul fait qu’il y ait des doutes sur son sort va nourrir les réactions cyniques de ceux qui avaient prévenu du danger qu’il y avait en choisissant un officiel chinois à la tête d’Interpol », réagit Willy Lam, spécialiste du leadership chinois à la Fondation Jamestown. Le mandat de M. Meng à la tête d’Interpol est censé durer jusqu’en 2020.