Dominique et Sylvie Mennesson, à Paris, en juin 2014. / BERTRAND GUAY / AFP

Fiorella et Valentina vont avoir 18 ans le 25 octobre et, depuis leur naissance, leurs parents, Sylvie et Dominique Mennesson, mènent un long combat. Une lutte juridique qui pourrait trouver sa conclusion, vendredi 5 octobre, avec une troisième décision de la Cour de cassation dans leur affaire. La haute juridiction, réunie en assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, doit en effet se prononcer sur le cas emblématique de ce couple qui demande la reconnaissance du lien de filiation avec leurs jumelles, nées en 2000 par gestation pour autrui (GPA) en Californie.

Sylvie Mennesson, atteinte d’une malformation congénitale, ne peut pas porter d’enfants. Alors quand le couple souhaite devenir parents, en 1998, il décide de faire appel à une mère porteuse aux Etats-Unis. Les enfants sont conçus avec les spermatozoïdes de Dominique et des ovocytes donnés par une amie du couple.

Outre-Atlantique, la loi leur reconnaît la parentalité sans problème : Dominique est le « père génétique » et Sylvie la « mère légale ». Les problèmes de la famille commencent quand le couple veut transcrire les actes de naissance sur les registres de l’état civil français. La GPA étant interdite dans l’Hexagone, le consulat de Los Angeles refuse d’établir des actes de naissance et d’inscrire les fillettes sur le livret de famille. Les Mennesson rentrent tout de même en France avec leurs enfants, grâce aux passeports américains de Fiorella et Valentina.

« Acharnement »

Malgré une procédure engagée contre le couple en raison de son recours illégal à la GPA (qui se conclura par un non-lieu), le parquet ordonne en 2002 la transcription des actes de naissance américains. Mais moins d’un an plus tard, le 16 mai 2003, le procureur de Créteil assigne les époux Mennesson devant le tribunal pour faire annuler cette transcription. En attendant la décision, Fiorella et Valentina n’ont pas de papiers et toute démarche administrative devient un casse-tête pour la famille.

Soulagement pour les Mennesson en 2005 : le tribunal de Créteil déboute le parquet, au motif que c’était lui qui avait autorisé la transcription des actes, avant de changer d’avis. Une décision confirmée deux ans plus tard par la cour d’appel de Paris, estimant que « la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur des enfants », qui semble clore l’affaire.

Mais le parquet ne compte pas en rester là et, en 2008, coup dur pour la famille Mennesson : la Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’appel. Retour à la case départ, les actes de naissance ne peuvent pas être retranscrits sur le livret de famille. Une décision qui suscite la colère de Sylvie Mennesson, qui dit ne pas comprendre « l’acharnement ». « Comment peut-on s’en prendre ainsi à une famille qui ne demande qu’à vivre ? », s’interroge-t-elle.

« L’intérêt supérieur de l’enfant »

Deux ans plus tard, la cour d’appel tranche une nouvelle fois, dans le sens contraire de sa première décision : la transcription des actes de naissance est, cette fois, annulée. La juridiction souligne que l’argument de « l’intérêt supérieur de l’enfant » ne saurait être pris en compte pour « valider a posteriori un processus » illégal en France.

Au tour du couple Mennesson de se pourvoir en cassation. En vain, la Cour rejette leur pourvoi, estimant que l’acte de naissance des jumelles se fonde sur des « dispositions heurtant des principes essentiels du droit français ».

Les Menesson s’adressent alors à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci va dans leur sens et condamne la France pour son refus de reconnaître la filiation. Sans se prononcer sur l’interdiction de la GPA, la CEDH estime que le refus de transcrire les actes de naissance porte atteinte à l’identité des deux enfants, qui ont désormais quatorze ans. La CEDH rendra par la suite plusieurs arrêts allant dans le même sens.

En conséquence, la Cour de cassation casse sa jurisprudence précédente, qui considérait que toute naissance par GPA, par sa nature illégale, empêchait automatiquement la transcription des actes d’état civil. Une évolution importante pour toutes les familles dans la même situation que les Mennesson.

« Interdiction d’utiliser » le livret de famille

Le parquet, lui, rechigne à appliquer la décision de la CEDH. « On pensait que les choses allaient enfin être terminées. On découvre avec désespoir que ce n’est pas le cas, regrette alors Sylvie Mennesson sur RTL. C’est de la discrimination. Sur le plan symbolique, c’est difficile pour mes filles de se sentir stigmatisées. »

Il faudra que leur avocat saisisse en référé le tribunal de grande instance de Nantes pour que celui-ci ordonne la transcription des actes de naissance américains, en décembre 2015. Ainsi, Fiorella et Valentina obtiennent des passeports français. Mais leur filiation n’est toujours pas reconnue : les parents ont « l’interdiction d’utiliser » leur livret de famille, selon Sylvie Mennesson. Se posent également des questions d’héritage et de droits de succession.

La réforme de la justice votée en 2016 prévoit, dans son article 42, que certaines décisions civiles censées être définitives puissent être réexaminées à la suite d’une décision de la CEDH. La Cour de cassation doit donc se prononcer, vendredi 5 octobre, pour la troisième fois.

Fiorella et Valentina sont désormais en âge de poursuivre le combat de leurs parents. Elles ont ainsi donné un entretien au Parisien, le 14 septembre. « Si des personnes pensent que ma sœur et moi ne devrions pas être reconnues comme les filles de nos parents, c’est juste cruel et méprisant », estiment les jeunes filles.

Comprendre la GPA et la PMA en trois minutes
Durée : 03:28