Djihadistes étrangers détenus en Syrie : les Kurdes demandent leur rapatriement
Djihadistes étrangers détenus en Syrie : les Kurdes demandent leur rapatriement
Par Allan Kaval
La France fait cependant figure d’exception : les autorités de la Syrie du Nord ne demandent plus le retour des djihadistes français vers l’Hexagone.
Abdulkarim Omar (à gauche), le chef de la Commission des affaires étrangères de l’administration autonome de Syrie du Nord accompagne une femmes soudanaise et son enfant avant leur transfert vers son pays d’origine. / RODI SAID / REUTERS
Le discours n’est pas nouveau mais le ton a changé. Dans une série de tweets publiée en fin de semaine dernière, Abdulkarim Omar, le principal responsable officiel des relations extérieures de la Syrie du Nord, a appelé fermement les gouvernements des pays dont les ressortissants djihadistes sont détenus sur le territoire à organiser leur rapatriement. La France, toutefois, ne serait pas concernée par ces déclarations.
Le chiffre annoncé est vertigineux : « Le nombre de combattants de l’EI, de femmes et d’enfants placés en détention dans le nord et l’est de la Syrie est important : 900 combattants, 400 à 500 femmes et plus 1 000 enfants originaires de 44 pays », a déclaré Abdulkarim Omar sur son compte Twitter, samedi 6 octobre. C’est la première fois que des représentants officiels de la Syrie du Nord publient des chiffres détaillés sur cette question singulièrement sensible et qui se pose avec acuité depuis fin 2017.
La Fédération de Syrie du Nord est l’entité politique qui contrôle les zones à majorité kurde du nord-est du pays et les territoires repris à l’organisation Etat islamique (EI) par les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde. De victoire en victoire, les FDS, qui sont soutenues militairement par la Coalition internationale, ont capturé de nombreux djihadistes dont le sort demeure en suspens un an après la chute de Rakka, leur ancienne capitale. S’ajoutent à ces prisonniers de guerre des femmes étrangères qui ont épousé des membres de l’EI ainsi que leurs enfants.
Exception française
« Nous confirmons que nous ne poursuivrons pas les combattants de l’Etat islamique dans notre région (…), chaque pays devrait rapatrier ses citoyens et les poursuivre sur son sol », a declaré Abdulkarim Omar dimanche sur son compte Twitter. Reprenant le discours véhiculé par l’administration de la Syrie du Nord depuis que le problème se pose, M. Omar a répété que la sécurité des Etats concernés était en jeu.
« Notre région est instable, toute situation de chaos pourrait permettre aux combattants de l’EI de fuir. Certains d’entre eux sont dangereux et pourraient poser des menaces graves contre l’Europe et la communauté internationale », a-t-il indiqué samedi. Joint par Le Monde lundi, le responsable kurde syrien n’a pas souhaité étayer sa position sur ce point.
Khaled Issa, représentant de la Syrie du Nord à Paris, a pour sa part confirmé au Monde la volonté de son administration de voir les djihadistes étrangers rapatriés de manière officielle. Il a toutefois précisé que cette position connaît une exception de taille : la France, dont une centaine de ressortissants est détenue par les FDS.
« Nous avons une relation privilégiée avec Paris et la question des djihadistes de nationalité française présents dans nos prisons est gérée dans un cadre propre avec nos partenaires français. Nous n’appelons pas la France à les rapatrier comme nous le faisons pour les autres pays », a indiqué M. Issa au Monde. Il y a un an, ce traitement spécial n’était pas à l’ordre du jour. La nature exacte du cadre dans lequel cette question est traitée n’a toutefois pas été précisée.
Emmanuel Macron est le seul chef d’Etat occidental à avoir reçu officiellement une délégation des FDS de leur encadrement politique le 30 mars 2018. La France avait par la suite renforcé sa présence militaire dans la ville de Manbij, alors menacée par les forces turques qui venaient de remporter une victoire contre l’enclave kurde d’Afrin, dans le nord-ouest syrien.
Les autorités françaises rappellent régulièrement qu’elles n’entendent pas se préparer à un retour de ses ressortissants détenus en Syrie. En février, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves le Drian répétait cette position. « Ils ne seront pas rapatriés en France dans la mesure où ce sont des combattants – donc ce sont des ennemis, c’est vrai pour l’Irak, c’est vrai pour la Syrie – qui ont combattu des citoyens de Syrie, qui ont combattu des Turcs, qui ont violé, qui ont fait des actes de barbarie », avait-il affirmé à BFM-TV.
Recherche de reconnaissance politique
Bien que les autorités de la Syrie du Nord bénéficient d’un soutien financier de la coalition pour renforcer leur système pénitentiaire, elles estiment que la présence des djihadistes sur leur sol pèse sur leurs ressources en s’installant dans la durée. Les combattants sont détenus en prison tandis que les femmes et les enfants séjournent dans des camps de déplacés fermés.
En automne 2017, des membres de l’encadrement politique des FDS avaient indiqué sur place au Monde qu’ils excluaient que des djihadistes non-syriens soient jugés localement. La solution privilégiée par les autorités de la Syrie du Nord consiste à organiser officiellement le retour de ressortissants étrangers dans leurs pays d’origine aux moyens de protocole officiels signés publiquement avec les gouvernements concernés. De tels procédés sont perçus comme à même de leur donner un succédané de reconnaissance diplomatique officielle.
Bien qu’elles entretiennent de fait des relations avec une multitude d’Etats, ne serait-ce que dans le domaine militaire, les autorités de la Syrie du Nord ne sont pas considérées comme un acteur doté d’une légitimité politique officielle par leurs interlocuteurs et partenaires étrangers. En cause, leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par Washington et l’Union européenne du fait de la lutte qu’il mène contre l’Etat turc.
Des rapatriements ont cependant déjà été organisés en 2017 avec l’Indonésie d’abord, puis avec la Russie. Dans ce dernier cas, des femmes et des enfants, principalement originaires du Caucase du nord, étaient concernés. Les autorités de la Syrie du Nord peinent depuis à reproduire l’expérience et utilisent la question des djihadistes étrangers pour obtenir une reconnaissance politique. En septembre, une femme soudanaise a été rapatriée vers son pays d’origine.