Louise Mushikiwabo : « A l’OIF, la jeunesse sera au centre de mon action »
Louise Mushikiwabo : « A l’OIF, la jeunesse sera au centre de mon action »
Propos recueillis par Pierre Lepidi
La ministre rwandaise des affaires étrangères brigue le poste de secrétaire générale de la Francophonie face à Mickaëlle Jean qui se représente.
La ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à New York, le 25 septembre. / LUDOVIC MARIN / AFP
Candidate au poste de secrétaire générale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, 57 ans, a reçu le soutien d’Emmanuel Macron puis celui de l’Union africaine (UA), qui compte de nombreux Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Pourtant, la candidature de cette proche du président Paul Kagame, ministre des affaires étrangères depuis 2009, avait d’abord provoqué l’étonnement, le Rwanda ayant abandonné l’enseignement en français en faveur de l’anglais en 2010.
Elle avait aussi suscité de vives réactions à cause des relations « compliquées » entre Paris, plus gros contributeur de l’OIF, et Kigali depuis la fin du génocide des Tutsi en 1994. Alors que le sommet d’Erevan s’ouvre, jeudi 11 octobre, Louise Mushikiwabo explique dans un entretien au Monde Afrique qu’elle entend placer la jeunesse au centre de son action et espère le début « d’une nouvelle ère » pour les relations franco-rwandaises.
Quelles seront les priorités de votre mandat si vous êtes élue ?
Ma première mission sera de donner une meilleure visibilité à notre organisation. Je suis convaincue que nous pouvons avoir plus d’impact. Les enjeux mondiaux sont tels que l’OIF ne parvient pas à s’impliquer suffisamment.
La jeunesse sera au centre de mon action. Dans les nombreux pays que j’ai visités ces derniers mois, l’accès des jeunes à l’emploi est une préoccupation importante. Une organisation comme la nôtre peut servir d’élément déclencheur et contribuer à créer des opportunités pour les jeunes. J’aimerais que l’on fasse quelque chose pour cette jeunesse tellement désespérée qu’elle en arrive à se jeter dans la Méditerranée. Je suis également très attachée à l’échange de bonnes pratiques entre les pays. Ce qui a marché dans un pays peut marcher dans un autre avec une adaptation.
Que pourrait apporter le Rwanda aux autres membres ?
Nous pouvons partager l’expérience de la reconstruction après conflit. On aimerait aider nos pays frères en leur expliquant les difficultés que nous avons rencontrées après le génocide et ainsi leur éviter de tomber dans certains écueils.
L’Umuganda [le dernier samedi de chaque mois, les citoyens rwandais participent au travail communautaire afin de servir la collectivité ou d’aider des personnes en difficulté] est une très bonne pratique qui a déjà été adoptée par d’autres pays et que nous pourrions développer, car elle nous a permis d’avancer. Nous pouvons aussi partager notre expérience dans la promotion de la femme et le côté organisationnel.
Beaucoup s’interrogent sur le rôle de la Francophonie. Que leur répondez-vous ?
Cette interrogation est légitime. Les pays membres de l’espace francophone partagent les mêmes valeurs et peuvent échanger des informations, se mobiliser et mener des actions précises aux Nations unies ou ailleurs. Ils ont cette capacité, mais l’exercent-ils suffisamment ? A mon avis, non. Il faut changer cela.
Envisagez-vous d’élargir le nombre de pays membres de plein droit ou observateurs de l’OIF ?
Cette question devra être débattue par ses membres. Il y a effectivement de plus en plus de pays qui veulent adhérer, et c’est une bonne chose. Reste à s’entendre sur les raisons de cette attractivité, sur les enjeux géopolitiques. Il faudrait qu’on décide de qui est membre à part entière, de ce que cela signifie à la fois en termes d’obligations et de droits [sur les 84 Etats membres, 54 le sont de plein droit, 4 sont associés et 26 sont observateurs]. Je crois qu’il y a une petite gestion à faire. Mais c’est fantastique de voir qu’une mini-organisation basée sur la langue se retrouve comme une sorte de mini-ONU. L’union fait la force.
Faut-il voir dans le soutien que vous avez reçu d’Emmanuel Macron un réchauffement des relations entre la France et le Rwanda, que vous avez qualifiées de « compliquées » ?
Il y a clairement une nouvelle volonté, avec le gouvernement du président Macron, d’aller de l’avant avec le Rwanda. La relation reste compliquée, mais il n’y a pas d’ennemis perpétuels. Les questions liées à l’histoire prennent du temps. Il en faut pour recréer de la confiance entre la France et le Rwanda. Cela passe par les individus, les leaderships respectifs. Pour nous, le président Macron est un homme qui n’est pas lié par l’histoire négative de la France au Rwanda. Il a aussi une approche très pragmatique de certaines questions, ce qui est aussi le cas de M. Kagame.
Mais M. Kagame a mis plusieurs fois en cause le rôle direct de la France dans la préparation politique du génocide. Une nouvelle ère est-elle en train de s’ouvrir ?
On l’espère. Dans six mois, nous allons commémorer le 25e anniversaire du génocide. Plus de la moitié de la population du Rwanda est née après. On passe donc à une nouvelle étape, mais un génocide n’est pas une petite affaire. Pour le Rwanda, il a toujours été question d’essayer de trouver des forces politiques en France qui ne soient plus dans la logique du déni, mais qui souhaitent gérer cette histoire difficile avec nous. On espère que cette ère-là est arrivée. On est prêts à y travailler et on espère que côté français aussi.
Si vous êtes élue, allez-vous encourager la nomination d’un ambassadeur de France à Kigali, où le poste est vacant depuis 2015 ?
Mes obligations se situeront dans le cadre de la Francophonie. Mais si je suis consultée en tant que secrétaire générale de l’OIF, alors je donnerai mon point de vue. J’ai traité cette question avec les prédécesseurs du président Macron, sur le plan bilatéral et en tant que cheffe de la diplomatie. A l’exception de la période qui a suivi le génocide et pendant quelques années avec l’administration de M. Sarkozy, il n’y a pas eu d’intérêt de la France à normaliser les relations diplomatiques. Si les choses avancent, pourquoi ne pas accréditer un ambassadeur ? C’est lié à cette volonté d’avancer, de changer les choses. Les discussions continueront entre le prochain ministre rwandais des affaires étrangères et la France. En réalité, ça dépendra de la France.
Depuis 2010 au Rwanda, les cours ne sont plus enseignés en français mais en anglais, « la langue qui rendra nos enfants plus compétents et servira notre vision de développement du pays », selon M. Kagame. Votre présence à la tête de l’OIF peut sembler contradictoire…
Ce n’est pas une contradiction. L’anglais est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux… C’est une réalité. Par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est, son premier partenaire commercial étant le Kenya. Il est donc normal et pragmatique, pour un pays enclavé, de donner une prépondérance à la langue anglaise. Il n’y a pas de contradiction à donner plus de place à l’anglais tout en restant un pays francophone. Plusieurs pays sont dans la même situation mais, pour le Rwanda qui est membre de l’OIF depuis sa création, ça prend toujours des proportions différentes.
Mi-septembre, plus de 2 000 prisonniers, dont la célèbre opposante Victoire Ingabire, ont été relâchés par anticipation. Faut-il y voir un lien avec votre candidature ?
Honnêtement, cela n’a rien à voir ! Les dossiers de ces personnes ont été étudiés et la décision de les libérer a été prise. C’est une bonne chose si cela peut aider ma campagne.
Le rôle d’une secrétaire général de l’OIF est de dénoncer les atteintes aux droits humains à l’intérieur de l’espace francophone. Si vous êtes élue, ne risque t-on pas de vous reprocher d’avoir occupé des fonctions majeures dans un gouvernement dans lequel ces droits n’étaient pas toujours respectés ?
Les droits humains ne sont pas réservés à quelques pays et pas à d’autres. Ce sont des aspirations que tout le monde a. Il y a toujours des améliorations à faire dans les droits et libertés. Mon pays a une histoire particulière, dans le sens où, depuis la fin du génocide, il a eu des relations difficiles avec les organisations des droits humains. Bien avant que les morts du génocide ne soient enterrés, celles-ci voulaient déjà des élections. Dès le début, les relations ont été compliquées. Après vingt-cinq ans, c’est toujours le cas. Mais s’il fallait dans chaque pays membre évaluer la question des droits humains, je pense que le Rwanda serait bien placé. On peut reprocher à chaque pays quelque chose sur la question des libertés.
Mais les rapports de plusieurs ONG étaient accablants en 2017…
On me reproche ces rapports depuis déjà plusieurs années. Cela ne m’empêche pas de me présenter comme candidate, et c’est aux pays membres de juger. Je crois qu’il y a parfois une confusion entre moi-même, le Rwanda et le président du Rwanda. Je suis candidate, j’ai des ambitions et il faudra me juger sur mon bilan.
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