« J’ai passé un master en sciences éco, avant d’oser me lancer dans la musique »
« J’ai passé un master en sciences éco, avant d’oser me lancer dans la musique »
Saxophoniste depuis l’âge de 8 ans, Jordan s’est ménagé un plan B avant d’opter pour sa passion. Sans pour autant regretter son Bac + 5 en économie, qui l’a nourri et lui sert encore.
Le Monde Campus
Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants de leurs parcours d’orientation. Cette semaine, Jordan, 25 ans, compositeur/saxophoniste à Paris.
« Je casse les oreilles de mes frères et de mes voisins avec mon saxophone alto depuis l’âge de 8 ans. On m’inscrit alors au conservatoire d’arrondissement avec le minitel de la maison. J’y fais des rencontres, comme mon prof de sax, qui m’a accepté malgré mes petites mains (ils ont bricolé une solution pour que je puisse jouer). Pendant que mes potes partent en colonies de vacances, je fais des tournées avec l’orchestre et des stages de musique, grâce auxquels je rencontre de vrais amis. Les années du conservatoire passent et m’amusent, ce qui me pousse à casser les oreilles davantage. A ce moment-là, je ne songe pas à en faire ma vie. Ce n’est que plus tard qu’un de mes profs me dira que j’ai le virus de la musique (il m’a vraiment dit ça !).
A la fin du collège, on forme un groupe de musique avec des copains du quartier. Nous participons à un tremplin, et finissons troisièmes au niveau national. Le monde des concerts, la vie nocturne, une certaine idée de liberté se dessinent à travers la musique et le jazz. Seulement, j’ai un oncle qui joue déjà du saxophone et me fait comprendre que c’est hyper dur d’en vivre. Autour de moi, je réalise alors que beaucoup de musiciens, croisés en jam session, tard, ont loupé un truc. Au cas où, il faut un plan B. Alors, au cas où, je passe un bac S, je m’inscris à la fac dans un autre domaine.
Des cours de haute qualité pour un prix dérisoire
Je hasarde une inscription en droit aussi, pour faire plaisir aux parents : je m’imagine peut-être dans le droit de la musique ou défenseur des musiciens ! Mais la plate-forme Admission post-bac décide de m’envoyer sur mon choix numéro deux : sciences économiques à Paris-1 (université de la Sorbonne). Pourquoi pas. On est en 2009, la crise a démarré il n’y a pas longtemps, ça serait pas mal de savoir de quoi il s’agit. Je me lance en licence alors que tous mes amis (quasi tous musiciens en devenir) se lancent dans la musique et en conservatoire. Jusqu’à la L3, je mène les deux de front. Même si je sais déjà que la fac est secondaire, les deux se nourrissent.
Quand j’étais petit, je pensais que fac, ça voulait dire facultatif. En fait, non. La licence se révèle très intéressante. Les profs nous expliquent que les politiques de gauche ou de droite ont fait pas mal d’âneries et que dans le fond, c’est à Bruxelles, au Parlement et au sein des lobbies qu’on décide des choses importantes. En plus des cours de haute qualité pour un prix encore dérisoire, la fac me donne la chance de pouvoir partir à Barcelone pour ma première année de master, grâce au programme Erasmus. J’y emmène mon instrument, joue avec des Catalans et des Sud-Américains à côté des cours de M1. Depuis la L3 déjà, j’ai hâte de finir le master pour me consacrer pleinement à la musique, même si je sens que ça sera dur et long.
Quitte à être esclave, autant l’être pour sa passion
Je finis mon master l’année suivante à Paris-1, et j’en retiens quelques certitudes. La fac t’apprend à te débrouiller seul, et à trouver ta place avec humilité, dans une société où l’argent, quoiqu’on nous dise, ne fait pas tout. En cours, un paradoxe se décèle. D’un côté, on nous parle du capital humain, de l’IDH et du PIB vert et de l’aliénation du travail. D’un autre côté, je croise des gens qui veulent juste gagner de l’argent sans se poser de question. J’observe autour de moi des gens qui se sont convaincus de faire des études, non pour s’instruire, mais pour travailler quarante-cinq heures par semaine pour espérer gagner un sucre qu’ils transfèrent directement à leur propriétaire, pour se loger à des prix excessifs, sans être capables de t’expliquer vraiment quelle valeur ils créent…
Comme je trouve ce modèle assez inquiétant, autant essayer de me lancer dans la musique ! Quitte à être esclave, autant l’être pour sa passion. Les regrets faute de ne pas avoir essayé seront bien plus coûteux qu’un véritable échec. Et puis mon master m’est utile ! Les études m’ont instruit, elles ont nourri et affiné mon projet professionnel.
Un projet musical, c’est comme une petite entreprise
Monter son projet musical, c’est comme une petite entreprise, où l’on doit à la fois créer de la musique, mais aussi la faire connaître et la produire sur scène. Alors, on rencontre plusieurs partenaires qui cherchent des gens pour jouer ou des compositeurs pour travailler sur un ou plusieurs titres. Je me rends compte que les études d’économie me servent tous les jours dans ce que je fais, pour m’organiser et pour valoriser ce que je produis (la musique). Cela met un peu de rigueur dans cette passion ! Malgré tout, je me rends compte qu’il faut s’entourer d’un maximum de gens animés par leur passion. Qu’il s’agisse de la comptabilité, de la musique ou de la communication.
Aujourd’hui, je suis au RSA depuis un an, et je monte mon projet de musique (Saintard) en prenant en compte tout ce que j’ai appris. Evidemment, il m’arrive de faire quelques boulots d’intérim à côté ! Je reste chez mes parents pour le moment, le temps de professionnaliser mon activité. Même si ça n’est pas encore rémunérateur, je me considère privilégié. J’ai la chance d’avoir des parents qui me font confiance là-dessus. J’ai eu le luxe d’avoir le temps de me consacrer à la musique dès mon plus jeune âge, car j’y avais accès, le conservatoire étant très abordable. Le véritable privilège, c’est d’avoir le temps de se rendre compte qu’on peut choisir de faire ce qu’on veut faire. D’abord par curiosité puis par passion, et non dans cette illusion de l’argent qui rend libre. »
Voici la chaîne YouTube de Saintard, le projet de Florian
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La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans
La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.
Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.